29 janvier 2012
Katia en toute intimité

© Richard Schroeder

 

Réduire l’orchestre à un piano, tenir l’opéra dans un mouchoir de poche, jouer et chanter au raz du public…. André Engel avait mis la barre très haute. Il avait joliment réussi la mise en scène de La Petite Renarde rusée de Leoš Janácek, pour l’Opéra de Paris, en 2008. Le voilà donc qui revient avec succès au compositeur tchèque avec Katia Kabanova, dont il présente aux Bouffes du Nord, une version opéra de chambre, pour ne pas dire en effet, « de poche ». Le terme n’a rien de méprisant. Avec leur charme si particulier, les Bouffes s’y prêtent à merveille et donnent à l’œuvre une intimité émouvante qui transfigure un argument sommaire : une jeune femme mal mariée, écrasée par une belle-mère haineuse et castratrice, se donne à un beau jeune homme. Mais prise de remords, elle choisit de mourir. Rappelons que Katia Kabanova fut créée en 1921.
La réussite d’Engel tient à deux choses. La théâtralisation de l’opéra et la belle complicité des interprètes. Ce que l’on découvre sur scène est l’aboutissement d’un travail entrepris en 2010 à l’Abbaye de Royaumont, dans le cadre d’une master class, sous la direction musicale d’Irène Kudela. On sent que tous se sont engagés passionnément dans une aventure où ils livrent le meilleur d’eux-mêmes avec une fraîcheur que l’on ne trouve pas toujours chez les vedettes.

Dans le piège de la folie

Engel explique qu’ils ont beaucoup joué avant de chanter. De fait, le jeu marie la finesse de l’émotion avec juste ce qu’il faut de caricature. Elena Gabouri campe la belle-mère, Kabanicha, dans une raideur ridicule qui lui sied à merveille, dans cette posture de reine sadique. La voix de Jérôme Billy apporte une touche de velours, pour incarner une sagesse qui ne sera pas écoutée. Céline Laly donne à Varvara la belle-sœur une perversité presque enfantine et innocente. Paul Glauger est criant de vérité en Boris jeune homme sincère mais dépassé. José Canales se glisse – plus en comédien qu’en chanteur – dans la lâcheté du fils et mari, Tichon, dont il fait une sorte d’ours en peluche pathétique. Enfin, Kelly Hodson traduit à merveille le piège de la folie dans laquelle est prise la douce et poétique Katia, oiseau mystique en cage qui rayonne d’un désir d’amour pur et se brise sur un mur d’hypocrisie. Le piano, tenu en alternance par Nicolas Chesneau et Martin Surot (au clavier ce soir-là, avec une belle finesse), porte le tout par une présence qui sait se faire discrète, permettant au jeu des chanteurs/acteurs de se déployer sans chercher le tour de force. À l’opposé de mises en scène tapageuses, l’alchimie dont André Engel s’est fait le serviteur sonne juste. Ce subtil équilibre permet au metteur en scène d’investir l’œuvre de Janácek de nos passions modernes. On y entre de plain-pied et on en sort avec cette sorte de ravissement qui sublime le drame auquel on a assisté. Cela s’appelle l’expérience de la beauté.

 

Par Jean-François Bouthors

Au Théâtre des Bouffes du Nord, jusqu’au 5 février.

© Richard Schroeder

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