17 juillet 2015
Juventus, 25 ans de talents

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Elle est lauréate en 2012, il est entré dans la famille en 1995 : Hermine Horiot et Ferenc Vizi peuvent être vus comme un condensé de Juventus. Chaque année depuis 1991, George Gara ne s’est pas contenté de réunir les talents les plus prometteurs pour leur offrir, comme tant d’autres se targuent de le faire, une rampe de lancement. La singularité du festival cambrésien vient d’abord de ce que, à l’inverse de tant de manifestations où les musiciens ne font que passer, le temps d’une ou deux répétitions avant le concert, il laisse aux artistes le temps de travailler ensemble, « de vivre ensemble », dirait le pianiste transylvanien. Ce mélange des générations, le plaisir de retrouver des solistes devenus partenaires, créé un climat unique « qui porte à jouer différemment », ainsi que le confie la jeune violoncelliste française. Un résumé de l’esprit de la musique de chambre en quelque sorte, trop souvent galvaudé ailleurs, qui affleure dans le premier enregistrement d’Hermine, produit par le festival 1001 Notes, et qu’elle a choisi de réaliser avec Ferenc : nul hasard sans doute, pour un programme composé autour de la Sonate opus 65 de Chopin, avec Liszt, Dvořák et Schumann, et où respire une sensibilité vibrant à l’unisson de la complicité.

Foison de rythmes

Si 25 ans signent peut-être le temps de faire un bilan, cette édition anniversaire se pare aussi d’une émotion particulière lors du concert du 9 juillet réunissant les lauréats de la première heure, où certains font, à l’exemple de Ronald van Spaendonck, leurs derniers pas sur la scène du Théâtre de Cambrai – même s’ils ne comptent pas pour autant abandonner la famille Juventus. Avec Alexandre Tharaud, celui-ci reçoit d’ailleurs avant l’entracte un trophée pour ces 25 ans, que l’un et l’autre dédient à Georges Gara.
Elaboré autour de la dialectique entre le diable et le bon Dieu, pour reprendre les mots du directeur artistique au début de la soirée, il s’ouvre sous le signe du premier, avec la suite que Stravinski a tirée de son mimodrame , laquelle se referme sur une aussi brève qu’alerte Danse du diable éblouie par la virtuosité du clarinettiste belge – on la goûte d’ailleurs tout au long de l’ouvrage. Dès la Marche du Soldat, l’économie de l’ensemble évite toute aridité, et dégage une chaleur que soutiennent le violon généreux de Graf Mourja et la fluidité du piano d’Alexandre Tharaud. Le trio n’a nul besoin d’effets pour manifester un sens de la caractérisation affirmé. Ainsi défilent devant les yeux autant que les oreilles, la fraîcheur d’un Air au bord du ruisseau, comme l’étourdissement de rythmes, d’un Tango nerveux à un savoureux Ragtime, en passant par une Valse nonchalante. Plus abstraits peut-être de prime abord, les Contrastes de Bartók  n’en chantent pas moins avec une irrésistible sens rhapsodique, grâce à trois solistes qui font rimer concentration avec jubilation. Pihenö, la Danse reposante centrale dégage un lyrisme teinté d’une belle intériorité, avant Sebes, un enivrant finale.

Aura spirituelle

Indéniablement attaché à Juventus, où il revient chaque été, Ronald van Spaendonck a visiblement tenu à faire de son ultime concert un authentique feu d’artifice et d’intensité musicale. Placé sous un évident patronage évangélique, le Quatuor pour la fin des Temps, écrit pour violon, clarinette, violoncelle et piano, ne porte pas seulement l’empreinte de la difficile période de captivité pendant laquelle Messiaen l’a écrit, mais également une profondeur à laquelle nul ne reste insensible. Alternant les mouvements roboratifs, à l’instar de l’évocatrice Danse de la fureur, et les séquences d’extase, l’œuvre explore les couleurs et les affects au gré des combinaisons de pupitres que la formation permet, et convie à un voyage spirituel, avec pour guides, aux côtés de la clarinette, Alena Baeva au violon, Xavier Phillips au violoncelle et Katia Skanavi au piano. Si le solo de Ronald van Spaendonck dans l’Abîme des oiseaux compte parmi les Everest de son instrument, il échappe à toute vanité technique. Quant aux deux Louanges qui se répondent à trois parties d’intervalle, celle à L’Eternité de Jésus vibre au gré du lyrisme du violoncelle, presque à nu sur les accords du clavier, tandis que dans l’ultime page, dédiée à L’Immortalité de Jésus, l’écho du violon s’évanouit dans les mystères célestes.

Parfum viennois et gâteau d’anniversaire

La  soirée anniversaire du lendemain contraste avec la légèreté viennoise et une scénographie simulant l’ivresse au jeu duquel se prennent les musiciens et George Gara, qui a troqué son mot d’ouverture pour quelques petits fours et coupes de champagne, au diapason de cette parodie de fête. Le répertoire de l’opérette à la Strauss ou Lehár – en particulier chez le premier – ne fait pas l’économie d’une certaine mélancolie sur le temps qui fuit, et qu’exalte la Romance pour violoncelle et piano de Richard Strauss, perdue au milieu de valses et polkas, sous les doigts d’Hermine Horiot et Ferenc Vizi, et que l’on entend parente du Chevalier à la rose ou d’Arabella. Accompagnatrice attitrée, Barbara Moser en profite pour faire découvrir avec Wolfgang Schweiger et Mareike Jankowski quelques raretés, à l’image de Vienne, ville de mes rêves de Rudolf Sieczynski, ou un air tiré de La Favorite de Robert Stolz. Redoublée par les applaudissements du public en chœur, la Marche de Radetzky referme ce résumé de bulles, avant un gâteau d’anniversaire à la crème offert au public sur le parvis du théâtre. On l’aura compris, Juventus ne perd jamais son sens du partage…
Gilles Charlassier
Juventus, du 2 au 14 juillet 2015 – Concerts des 9 et 10 juillet 2015

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