2 novembre 2012
Journalistes-serviteurs

Les journalistes sont-ils au service de la propagande des plus puissants? La réponse semble être dangereusement positive à en juger le documentaire Profession journaliste de Julien Despres qui est sorti mercredi sur les écrans. Enfin plutôt sur un écran, celui du cinéma « alternatif »La Clef, à Paris. Il faut dire qu’avec des moyens limités et à l’arrivée une durée de 70 minutes, voilà qui n’est pas très « bankable ». C’est pourtant un véritable exercice de salubrité intellectuelle que ce jeune réalisateur, ancien ingénieur du son a entrepris en allant interviewer ceux qui ont bien voulu parler. Pas évident vis à vis de sa hierarchie de dire que beaucoup travaillent, restrictions budgétaires obliges, en se fondant uniquement sur les dépêches AFP ou à partir de dossiers de presse, bref des messages imposés. Alors les voeux pieux de « mise en perspective » chers à Hervé Chabalier ( son agence Capa qu’il vient de quitter, est au passage une des rares à toujours exercer avec clairvoyance le métier) ou de « contre pouvoir » d’Eric Fottorino, ancien directeur de la rédaction du Monde, que sont-ils devenus aujourd’hui, avec des groupes comme Bolloré, Dassault ou Lagardère qui contrôlent la plupart des titres?

Omerta dans les rédactions

C’est en lisant le livre de Patrick Champagne Faire l’opinion que Julien Despres a décidé d’attaquer le sujet, après avoir vérifié l’importance de RFI au Burkina Faso où il réalisait un premier documentaire Noir coton. Nous sommes en 2009, Alain de Pouzillac, ancien publicitaire, nommé par Nicolas Sarkozy à la tête de France 24 et RFI un an plus tôt prépare la fusion. Avec un gros plan social à la clé…Syndicalistes et anciens salariés vont alors parler, raconter comment France 24, CNN à la française est en fait une usine, avec même pas de conférence de presse et des sujets qui peuvent être des commandes de  boites de communication. Les  journalistes sont devenus des OS de l’information, formés dans des écoles comme le CFPJ-censée être le must-où il n’y a même pas une bibliothèque comme le souligne François Ruffin, journaliste indépendant et ancien élève de l’école. « L’objectif est de fournir de la main d’oeuvre qui correspond aux attentes », et gare si l’on ne se met pas en conformité comme le démontre très justement Julien Brygo, ancien journaliste de la petite merveille d’émission qu’est Là-Bas si j’y suis sur France Inter. Embarquant pour un voyage de presse dans les terres de Vincent Bolloré, il a voulu montrer ce qui arrivait quand on ne joue pas le jeu de la servilité… Son enregistrement est édifiant et devant la réaction outrée du service de communication, on découvre à quel point les règles sont désormais codifiées pour donner lieu à un exercice de promotion qui ne prend même plus la peine de se cacher. Poser des questions à l’issue de la conférence? Pourquoi faire?

Propagande et Relations publiques

Avec les communiqués, les dossiers de presse, les attachés de presse qui vous barrent la route, on est entré dans une ère de propagande de paix qui s’appelle « relations publiques » et crée tout simplement l’actualité! De quoi faire dire à Laurent Joffrin,  directeur de sa rédaction,  que le Nouvel Observateur est désormais un « Gala pour riches », avec des couvertures sur les maisons de campagne mais jamais sur les logements sociaux et des pages shopping où les sacs sont à 500 euros; Et avec Noël qui arrive, vous allez avoir bientôt les suppléments cadeaux! Parions qu’ils n’auront pas beaucoup de lien avec les pages actualité nous relatant la crise et la paupérisation des classes moyennes. « On vend désormais le lecteur à Monsieur Danone, à Monsieur Bouygues » et ce n’est pas Claude Perdriel, industriel prétendument « de gauche »et patron du Nouvel Obs et de Challenges qui dira le contraire lorsqu’il affirme « vouloir se débarasser des lecteurs inutiles ». On cite Camus mais « on est loin du journalisme engagé qui est de toutes les façons aujourd’hui une profession trustée par les enfants des CSP+ » comme le souligne Julien Despres, « avec en plus un quart des journalistes en situation de précarité, travaillant comme pigistes ». Bref,  une fois qu’on a un job, pas facile de se rebeller…Alors la plupart des jeunes diplômés rêvent de faire du culturel, « aller à Cannes », histoire de confirmer que notre profession est bien en danger. Rien d’étonnant cependant à cela; plus que d’avoir manqué son sujet comme certains journalistes n’ont pas manqué de l’écrire, c’est que le réalisateur  s’en étonne qui peut prêter à sourire. De tous temps, le journaliste a été une position sociale avantageuse-même si financièrement ce n’est plus vrai- provoquant une évidente collusion avec le pouvoir. Désormais détenu par la finance et les industriels, il ne reste plus que sur les faibles que l’indépendance de la presse peut s’exercer. De quoi pouvoir noircir encore pas mal de papier…

 

Par Laetitia Monsacré

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