« Un bon livre, Marcus, est un livre que l’on regrette d’avoir terminé ». Si la dernière leçon d’Harry Quebert à son disciple Marcus Goldman est juste, alors oui, ce livre doublement primé par les académiciens et les lycéens, est un grand roman. Ce thriller que l’on dévore, c’est celui que l’écrivain, Marcus Goldmann, compose devant nous. Et ce, écrit grâce aux conseils avisés de son ancien prof d’université, Harry, devenu son coach de boxe et d’écriture, et son meilleur ami. Cet écrivain newyorkais, après le succès de son best-seller découvre la terreur de la page blanche. L’ultimatum est lancé par son éditeur. Il va alors tenter de retrouver l’inspiration, dans la vieille bâtisse Goose Cove, celle-là même où 30 ans auparavant, son maître écrivait Les Origines du Mal, qui l’avait propulsé vers la notoriété.
Sauf que… le cadavre d’une fillette de 15 ans, est retrouvé, enterré au fond du jardin ; tenant dans la main un manuscrit portant l’inscription « Adieu, Nola chérie »… Etrange coïncidence ? Marcus, convaincu de son innocence, va mener sa propre enquête dans le New Hampshire, et recoller un à un les morceaux du puzzle des mystérieux évènements de l’été 1975. Insomnie garantie !
Certes, d’apparence ce roman-fleuve de 700 pages prend l’allure de grand feuilleton de l’été. Mais non et non ! La vérité sur l’affaire Harry Quebert, n’est pas un livre policier lambda. C’est un savant mélange de tous les ingrédients du genre romanesque; une histoire d’amour impossible, une amitié qui jamais ne faiblit, un thriller à rebondissements jusqu’à la dernière minute. Mais c’est avant tout, une réflexion intelligente sur le métier d’écrivain et la création artistique. Un roman sur le roman.
Le lecteur au cœur de l’enquête
Entre Œdipe et Agatha Christie, Joël Dicker se situe au milieu. Ce sera à vous de démêler le vrai du faux afin de démasquer le coupable. « Qui a tué Nola Kellergan ? » L’écrivain a l’art de transporter son lecteur par les mots. En véritable chef d’orchestre de son univers, il rythme le texte à coup de flash-back avec une grande habileté. C’est l’écrivain qui va mener l’enquête. Et nous avec. C’est le maton qui rythme le suspense et laisse le lecteur en haleine… Apprenti détective, vous vous laisserez sans difficultés prendre au jeu. Jeu qui parfois, pendant les longueurs, donne envie de tricher et d’appliquer un des droits imprescriptibles du lecteur de Pennac à « sauter des pages », pour enfin SAVOIR. Et cesser d’être en apnée.
Outre cette quête de la vérité, il faut reconnaître le mérite qu’a eu Dicker de donner vie à des êtres attachants. De la mère juive qui harcèle son fils pensant qu’il est homosexuel, au sergent patibulaire qui a le cœur tendre, à la cynique mère Quinn, les personnages ne peuvent pas vous laisser indifférents.
Une histoire d’amour et d’amitié comme tremplin vers la création
Le lauréat Goncourt des Lycéens nous offre un livre en processus, un livre en train de s’écrire devant nous. Outre le procédé de mise en abîme, il se sert également de ses héros pour nous parler de sa propre expérience d’écrivain, tel un
artiste maudit, ascétique, en proie à la solitude. Trente années passées, en attendant Nola… Harry a des élans Beckettiens par moments. Le sens à la vie, il l’a perdu. Son Godot à lui, c’était Nola…
Jöel Dicker offre, à travers ses personnages, deux visions antagonistes de la création. La passion amoureuse est pour l’un source d’une inspiration dionysiaque, pour Marcus, au contraire, c’est la recherche de la vérité et l’amitié qui guide son écriture. Pour Harry, on est loin du courant naturaliste de Zola, qui prêtait à la maladie d’amour la malédiction de stériliser le pouvoir créateur. « Nola était sa muse. Celle sans qui il ne pouvait rien faire […] J’étais habité par une fièvre créatrice que je n’ai plus jamais eue (…) quand Nola a disparu, mon talent a disparu avec elle »
Etre écrivain, c’est changer le monde
Les 31 leçons dispensées par le maître, rythmant chaque chapitre, sont aussi une invitation à l’écriture pour le lecteur. L’écrivain chez Dicker, est un battant. « Le dix-septième conseil est clair : vous devez préparer vos textes comme on prépare un match de boxe »
A l’image de ses derniers mots lors de la remise de son trophée au ministère, « rêvons !», le livre montre que les auteurs « ont le pouvoir de tout changer (…) les écrivains ont au bout de leurs doigts une force que souvent ils ne soupçonnent pas. Il leur suffit de fermer les yeux pour inverser le cours d’une vie »
Avis enfin aux écrivains en herbe : « vous pouvez changer le présent, c’est le pouvoir des écrivains »… Espérons en tous cas qu’ Harry se trompe quand il dit que « les écrivains n’écrivent qu’un grand livre par vie ». On attend avec hâte le troisième de Dicker!
Ps : Indice : faîtes attention aux mouettes !
Par Elodie Terrassin
La vérité sur l’Affaire Harry Québert de Joël Dicker aux éditions de Fallois-22 euros