Annecy classic festival n’a que quatre ans mais est déjà pleinement inscrit au cœur du paysage musical français. Avec son lac et son panorama de carte postale, la ville savoyarde a attiré de riches mécènes russes autour de Denis Matsuev, directeur artistique aux côtés de Pascal Escande, lequel préside également depuis de nombreuses années aux destinées d’Auvers-sur-Oise. Depuis 2010, il flotte ainsi pendant les dix derniers jours d’août comme un irrésistible parfum slave. D’ailleurs, comment ne pas succomber aux sirènes du Philharmonique de Saint-Pétersbourg et de son légendaire chef, Yuri Temirkanov, en résidence à Annecy et qui, comme c’est désormais l’usage, assurent le concert de clôture ?
Pour refermer ce cru 2013, on a mis Rachmaninov à l’honneur. C’est cependant avec un compositeur de la génération précédente que s’ouvrent les agapes. Chef d’orchestre reconnu à son époque, Anatoli Liadov a laissé une œuvre peu abondante. Son Scherzo fantastique, Kikimora, rappelle l’orientalisme d’un Rimski-Korsakov – songeons à Shéhérazade. Main de fer dans un gant de velours et sourire complice, Yuri Temirkanov fait délicieusement caraméliser la généreuse pâte sonore en un irrésistible ruban mélodique.
Du sang russe qui coule à flots
Avec le Second Concerto de Rachmaninov, Denis Matsuev fait la démonstration de sa vigueur habituelle et sans égal. Sans négliger des plages de tendresse, la performance du virtuose russe au visage étonnamment poupin pour son âge – il approche la cinquantaine – rivalise de puissance avec les forces du Philharmonique de Saint-Pétersbourg, en qui il trouve un partenaire à sa hauteur. Au demeurant, la rivalité n’empêche nullement la bienveillance, à en juger le regard attentif du chef envers le soliste – un duo au sommet. Peu sensible aux sonorités délicates, l’acoustique de l’église Sainte-Bernadette se trouve repue par ce piano sanguin, résistant aux assauts répétés de virtuosité que réclame une partition qui n’a ainsi pas le temps de s’abandonner à quelque cabotinage que ce soit.
Cette même plénitude sonore se retrouve dans les Danses Symphoniques de Rachmaninov, sorte de vaste poème tel que les goûtait la fin du Romantisme. Ici également, la fermeté du geste de Temirkanov, son sens de la carrure rythmique, débordent d’une émotion dénuée de toute sensiblerie. Assise des basses, précision des bois et des cuivres, l’ensemble des musiciens suit le chef comme un seul homme. Si elle a quelque chose de pressant, voire autoritaire, cette ivresse slave comble une assistance qui réserve un triomphe mérité à des artistes désormais ici presque chez eux. Petit bout de Russie indifférent aux soubresauts de l’actualité, le festival d’Annecy prouve une fois de plus en ce dernier vendredi d’août combien il peut étancher des mélomanes assoiffés de dionysiaque.
GC
Festival d’Annecy, du 21 au 30 août 2013,