12 mars 2013
Des femmes et Dieu

Ita L. née Goldfeld, la juive, sœur Emmanuelle, la chrétienne. Deux destins, l’une dans l’ombre, l’ autre dans la lumière pour deux comédiennes seules en scène à 19 heures, l’heure où les magasins ferment. La première est au Petit Saint-Martin, donnant vie dans un décor minimaliste à cette grand-mère inspirée par celle de Eric Zanettacci-auteur de la pièce. Ita donc, qui a fui Odessa à la Première Guerre mondiale et refait à nouveau sa valise à cause de la Seconde. Contrairement à ses sœurs parties en Amérique, elle n’a pas voulu mettre un océan entre elles et le « Malin ». Le même qui a frappé à sa porte une heure plus tôt pour l’emmener. « Faites votre valise, nous reviendrons vous chercher dans une heure, et occupez-vous bien pendant cette dernière heure, madame ». Le policier, en voyant l’ habit de légionnaire de son mari, son cher Salomon mort après avoir été gazé dans les tranchées « pour la France », a eu pitié. Alors fuir? Mais pour aller où? Et si c’était juste pour vérifier ses papiers et voir, comme pour son fils Jacques-« un prénom bien français »– déjà à Drancy, « qu’ ils sont de bons citoyens, qu’ils n’ont rien à se reprocher… » Ou encore « Et s’ils oubliaient de revenir? »  Toute la naïveté, voire la crédulité de ces pauvres hommes et femmes que l’on emmena dans les camps, sans qu’ils ne résistent, sûrs de cette France, terre d’accueil et des Droits de l’homme, est racontée dans cette pièce forte et dure. Hélène Vincent, découverte au cinéma dans La Vie est un long fleuve tranquille et récemment magnifique dans Quelques heures de printemps, y joue avec grâce, sans jamais verser dans le pathos, cette petite femme émouvante dans son manteau en astrakan avec son étoile jaune soigneusement cousue dessus; son enthousiasme lorsqu’elle parle de ses petits gâteaux vendus dans tout son quartier de la rue du Petit Musc, l’opportuniste de certains aussi, comme ses voisins qui ne lui parlent plus depuis l’occupation sauf pour lui demander le double de ses clés « au cas où »… pour ensuite devant son refus, la traiter de youpine.

Des tennis et des hommes

« Fends  le cœur des hommes, tu y trouveras le soleil », difficile en sortant de cette pièce de croire soeur Emmanuelle qui renaît elle aussi sur scène dans Yallah, mise en scène par Michael Lonsdale encore auréolé du succès du film Des hommes et des Dieux. Adapté de son livre Confessions d’une religieuse, la pièce n’aborde elle, pas du tout cette période sombre que fut l’occupation et la Shoah. Mais d’autres drames, tout d’abord personnels comme pour la jeune Madeleine, six ans,  de voir son père se noyer sous ses yeux. Françoise Touries  joue avec énergie cette jeune fille, née dans une bonne famille avec gouvernante et villa au bord de la mer.  Ce drame  décida-t-il de sa vocation? Personne ne le sait, jeune fille attirée par les garçons qu’elle était; ce qui est certain, c’est qu’une fois sa décision prise d’entrer dans les ordres, pas question pour soeur Emanuelle -« Dieu avec nous »- d’aller étudier les Saintes Ecritures en Sorbonne. Ce sera Istanbul et l’école pour les plus humbles puis la grande aventure des chiffonniers du Caire où on lui avait dit qu’elle se ferait tuer. A ceux qui la menaçaient, elle fit une seule chose: tendre la main, avec sa croyance aveugle en un Dieu « bon », et en l’Homme. Et cette idée que « dans sa misère, cet homme est mon frère », qu’il ait tué, volé ou trahi. « Je voulais vivre vrai » voilà une belle profession de foi pour cette femme qui ne cessa d’alerter et à sa façon de s’indigner comme Stéphane Hessel. Son indignation débuta en voyant les enfants manger  des tomates pourries car ils n’avaient rien d’ autre. « On ne peut pas se tourner vers Dieu sans se tourner vers les autres hommes ». Chaussée de tennis, elle va alors arpenter le monde après avoir livré une lutte jour après jour avec la mort qui venait prendre ces enfants emportés comme des mouches par le tétanos.  » Valoriser la mère » disait-elle. Et toutes ces femmes qui, au quotidien, luttent et  sont des héroïnes dont la vie ne sera jamais montrée sur scène…

LM

Yallah! Soeur Emmanuelle     du mardi au vendredi au Théâtre Michel, à 19 heures

Ita L. née Goldfeld    au Petit Saint-Martin tous les jours, à 19heures

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