22 juin 2012
Huis clos shakespearien à Genève

Avec cette nouvelle production de Macbeth commandée à Christof Loy, le Grand-Théâtre de Genève referme sa saison avec éclat. A l’aide d’un décor unique dessiné par Jonas Dahlberg, intérieur monumental de pierre sinistre que ne réchauffe guère une cheminée où s’enfuient sylphes et sorcières, l’enfant terrible de la scène allemande, qui avait légué la saison passée d’iconoclastes Vêpres siciliennes, a su révéler dans l’adaptation que Verdi en a fait toute la fantomatique noirceur de la tragédie shakespearienne. Constamment plongée dans des couleurs anthracite, la scène reflète parfaitement la grisaille morale dans laquelle l’ivresse du pouvoir et l’angoisse de le perdre ont fait sombrer Macbeth, entraîné dans une spirale sanguinaire que seule la rébellion de ses adversaires pourra arrêter.

Le sens du théâtre

Le rideau se lève sur l’errance d’une silhouette en blanc, Lady Macbeth, tandis que résonne le nocturne thème plaintif introduisant la scène de somnambulisme au quatrième acte – exemplaire avatar d’émulation entre sensibilité musicale et efficacité dramaturgique. Ce sens du théâtre irrigue l’ensemble du spectacle et souligne la force des grandes scènes, comme le duo entre les époux dans l’antichambre du régicide ou l’apparition du spectre de Banco au cours du banquet du deuxième acte.

Le maintien du ballet au troisième, exigé par la reprise de l’opéra pour Paris et désormais généralement coupé, laisse plus sceptique. Thomas Wilhem se sert de cette musique rythmée, quoique plus faible que le reste de la partition, pour proposer dans sa chorégraphie décalée, sur le devant du rideau, une illustration des prophéties des sorcières qui ne fait pas l’unanimité, faute entre autres d’intention intelligible d’emblée. Seule entorse à la version de Paris, par ailleurs donnée ce soir en intégralité, c’est le finale original, plus resserré, qui a été préféré, braquant les projecteurs sur la mort du héros, abandonné de tous.

Jennifer Larmore en Lady Macbeth hallucinée

Et la grande cohérence de la soirée vient de ce que la réalisation musicale regarde dans le même sens que la scène – et vice versa. Des originalités presqu’expérimentales de la partition, Ingo Metzmacher en exhale les audaces expressives avec une remarquable intelligence. S’adaptant aux caractères de l’histoire, il insuffle à l’orchestre de la Suisse romande une théâtralité subtile et captivante qui sert les chanteurs sans s’y montrer servile.

Douée d’un tempérament admirable, Jennifer Larmore décline l’évolution psychologique de Lady Macbeth, compensant dans son hallucination ultime l’endurcissement de l’ambition. Peu importe si quelques aigus pourraient être plus percutants, son extraordinaire musicalité happe l’attention. Le contraste avec le Macbeth de Davide Damiani, zébré de quelques fêlures, qui sont celles du personnage, s’avère d’une grande pertinence, tandis que Christian van Horn fait un Banco d’une belle prestance. Macduff à la voix solaire, Andrea Carè se montre le digne élève de son maître, Luciano Pavarotti.

Ajoutons au tableau la précision des chœurs, et l’on comprendra sans peine que ce Macbeth genevois s’affirme comme une incontestable réussite, et pour tout dire, l’un des évènements de cette fin de saison.

Par Gilles Charlassier

Macbeth de Verdi, Grand-Théâtre de Genève, jusqu’au 26 juin 2012.

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