14 février 2013
Hooper et Hugo marquent et gagnent

« Ma conviction est que ce livre sera un des principaux sommets, sinon le principal, de mon œuvre ». Ainsi s’exprimait Victor Hugo, lorsqu’en  1862, il acheva l’écriture des Misérables, roman fleuve sur la condition des plus pauvres. Livre mystique, il y est question de Dieu, de rédemption, de pardon pour parvenir comme l’a justement écrit Lamartine à « un livre très dangereux de deux manières : non seulement parce qu’il fait trop craindre aux heureux, mais parce qu’il fait trop espérer aux malheureux « . Succès populaire dès sa sortie, le livre fut adapté au théâtre et au cinéma avec dans le rôle du bagnard qui découvre la grâce de Dieu, Jean Valjean, qu’incarnèrent tous les plus grands acteurs français: Jean Gabin, Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Gérard Depardieu. Tom Hooper, à son tour, ne s’y est pas trompé. Le réalisateur fort de ses trois Oscars reçus pour son magnifique Le Discours du Roi– meilleur film, meilleur acteur, meilleure adaptation l’an dernier- a ainsi choisi pour revenir à l’écran Les Mis’, cette comédie musicale avec une mélodie par minute ce qui lui assura le plus gros succès de tous les temps-de Covent garden à Times square. Et signe là, à nouveau un film d’une perfection absolue à condition d’aimer le genre. Souvent pauvres en histoire, les comédies musicales n’ont pas toutes la chance d’avoir comme ici Victor Hugo au livret; et à l’arrivée, un équilibre parfait entre la musique créée par les deux Français Alain Boublil et Claude-Michel Shönberg et ce texte magnifique « Dieu vous a sortis des ténèbres, ne reste-t’il que le cri de la haine? » et si universel « J’ai fini par haïr ce monde qui m’a haï ». Du grand spectacle de la scène d’ouverture au message de miséricorde et de foi en l’homme comme cet évêque qui sauve Valjean des geôles alors qu’il vient de le voler « vous devez utiliser cet argent pour devenir un homme honnête »– voilà bien pour paraphraser Hugo de ces films qui ne seront pas inutiles tant « qu’il y aura sur la terre ignorance et misère ». Fantine, ravissante et époustouflante  Anne Hataway (à laquelle les journalistes ont surtout demandé de quoi avait été fait son régime-sic), donnera ses cheveux, ses molaires pour sauver sa fille. « Il y avait un temps où les  hommes étaient  bons, mais les tigres rôdent la nuit »; dans  I dreamed I had a dreamed, (« j’avais rêvé une autre vie mais la vie a tué mon rêve ») elle  est juste exceptionnelle de justesse et d’une émotion à vous tirer les larmes -de celles que l’on ne contrôle pas… Toutes les chansons ont en effet été interprétées en direct et par les acteurs eux-mêmes, une vraie performance comme Hollywood les aime. Russel Crowe, avec sa voix de basse est tout aussi magistral jouant l’Inspecteur Javert avec une force que l’on sent prête à se fissurer dès les premières images jusqu’au suicide final. Cosette/Marius sont également irrésistibles « Je suis perdu-Et moi trouvée… », servis par les voix et le jeu irrésistibles d’Amanda Seyfried vue dans Mamma Mia et Eddie Redmayne (à la voix à vous donner des frissons dans Empty Chairs at empty tables) découvert dans Marilyn et moi. Autre couple, Sacha Baron-Borat et Helena Bonham Carter -une très grande- forment un duo d’enfer en monsieur et madame Thénardier- allégeant un peu le côté sombre du récit… Enfin Hugh Hackman est juste « immense »-de jeu et de « couleurs » dans la voix , cet homme qui, en aimant Cosette comme sa fille « a vu le visage de Dieu ». Voilà à l’arrivée un film magistral qui  offre ce que le cinéma fait de mieux lorsqu’il est talentueux-divertir et faire réfléchir- avec beaucoup de résonances sur la condition humaine qui n’a finalement pas beaucoup changé aujourd’hui et qui, si elle ne conduit pas à des émeutes et des barricades comme dans ce Paris de 1832, galvanisera beaucoup d’entre vous aux sons de Do your hear the people sing, sorte de chant de ralliement pour tous ces hommes et femmes que décrivit si bien  la plume de Victor Hugo :

« Ces pauvres êtres vivants, ces créatures de Dieu, sans appui désormais, sans guide, sans asile, s’en allèrent au hasard, qui sait même ? chacun de leur côté peut-être, et s’enfoncèrent peu à peu dans cette froide brume où s’engloutissent les destinées solitaires, mornes ténèbres où disparaissent successivement tant de têtes infortunées dans la sombre marche du genre humain. Ils quittèrent le pays. Le clocher de ce qui avait été leur village les oublia ; la borne de ce qui avait été leur champ les oublia ; après quelques années de séjour au bagne, Jean Valjean lui-même les oublia.  »Les Misérables, tome I, livre 2, chapitre 6

Par Laetitia Monsacré

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