2 mai 2014
Les Troyens à la Scala / Honneurs milanais pour Berlioz

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Nul n’est prophète en son pays et Berlioz l’a su plus que nul autre, tant et si bien que ce sont les Anglais qui, en particulier grâce à l’engagement de Colin Davis, ont contribué à lui redonner la place qu’il méritait au panthéon des plus grands compositeurs. Et c’est avec Londres – ainsi que Vienne et San Francisco – que la Scala s’est associée pour commander à David McVicar une nouvelle production de son plus chef d’œuvre lyrique, Les Troyens, que la France n’a plus donné depuis 2006. Avec ses quatre heures de musique, l’ouvrage n’est pourtant pas plus difficile à monter que la plupart des opus wagnériens… Professionnel prolifique, le metteur en scène écossais signe là un spectacle cohérent et habile, où les terrasses de Carthage se révèlent l’envers de l’enceinte de Troie – les effets de miroir entre les deux ne manquent pas d’ailleurs. La magie mélancolique inimitable de Virgile revu par Berlioz se fait cependant attendre, lacune sensible dans la seconde partie, quand la parfois brouillonne Fura del Baus ménageait, en 2009 à Valence, un duo d’amour onirique. Du moins l’œuvre est-elle ici donnée en son intégralité, ballets inclus ponctués ça et là de liesse populaire un peu trop réaliste lors des défilés.

Les vertiges de l’orchestre et de Cassandre

En 2012, quelques semaines avant les jeux olympiques, Covent Garden avait choisi le prestige en proposant à Jonas Kaufmann son premier Enée, avant que des problèmes vocaux ne changent la donne. Milan reprend deux des protagonistes qui avaient tenu l’affiche pour les mémorables représentations au Châtelet en 2003. Prophétesse torturée avec un symbole ésotérique dessiné sur la paume qu’elle brandit pour conjurer le destin, Anna Caterina Antonacci a approfondi la détresse de sa Cassandre au français exemplaire, jusqu’à s’aventurer aux confins de la déclamation. Son jeu d’actrice s’avère cependant trop « chorégraphié » pour être émouvant. Un peu raide au début dans l’éclat militaire, Gregory Kunde se confirme comme l’un des meilleurs Enée du moment, doué d’un sens du style et de la nuance auquel se montre sensible le public milanais à la fin du grand air des adieux au cinquième acte, même si la scène ploie sous un relatif prosaïsme, lié sans doute à la direction d’Antonio Pappano. Attentif aux couleurs de la partition et à la souplesse des tempi, le chef italien détaille les pupitres de bois avec une précision surnaturelle, mais se laisse aller au fil de la soirée à un certain alourdissement, la puissance du finale flirte alors avec le bruyant.

De Milan à Vienne

Presque sans égale aujourd’hui pour le rôle, Daniela Barcellona possède pour Didon le naturel de l’aristocratie, moins celui de la diction. L’ancien pensionnaire de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris Alexandre Duhamel s’exporte avec succès en Panthée de belle stature, tandis que l’on retiendra la fraîcheur que Paolo Fanale dégage dans un Hylas dont le souffle se trouve mis à l’épreuve par la largeur de la battue. Si le Iopas de Shalva Mukeria et l’Anna de Paola Gardina ne déméritent pas, Maria Radner montre un peu trop de componction pour Anna et Giacomo Prestia affirme plus de présence que de noblesse en Narbal. On ne s’attardera pas sur le Chorèbe forcé que réserve Fabio Capitanucci, tandis que l’on soulignera la majesté des chœurs préparés par Bruno Casoni. Prochaine étape pour ces Troyens, San Francisco en juin 2015 avec une distribution renouvelée, avant de les retrouver à Vienne à la saison suivante – Dominique Meyer, le directeur de la Staatsoper, était d’ailleurs ce samedi soir dans la loge royale…
GL
Les Troyens, Teatro alla Scala, Milan, du 8 au 30 avril 2014

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