11 janvier 2012
Homs la maudite

Un journaliste qui tombe sur le terrain, c’est toujours un choc pour nous tous qui avons choisi cette profession, même si les circonstances et nos choix de vie nous ont placés bien loin des zones de conflits. Alors que Manon Loizeau décrit dans nos colonnes  cette semaine l’état de guerre qui règne à Homs -elle qui a réussi à s’y rendre il y a un mois clandestinement, voici le témoignage de Hala Kodmani, journaliste, qui a traduit le texte de Fadwa Suleiman, cette actrice syrienne qui a pris fait et cause de la révolte à Homs et que nous avons publiée la semaine dernière. Gilles Jacquier, grand reporter à France 2, qui a été tué ce mercredi 11 janvier par un tir d’obus dans cette ville rebelle syrienne, avait préparé son voyage avec elle et l’avait appelée dimanche avant de quitter Damas pour se rendre à Homs.

« Gilles ne voulait pas aller à Homs !
Il me l’avait redit dimanche au téléphone, au lendemain de son arrivée à Damas. Mais sous la pression de  Sœur Marie Agnès, organisatrice de ce voyage de presse autorisé par le régime syrien, il m’avait confié avec regret qu’il devait participer à cette virée où l’on voulait lui montrer « une autre réalité » de Homs. Il était si enthousiaste de partir en Syrie quand je l’ai rencontré vendredi dernier, à la veille de son départ. En lui donnant quelques contacts et quelques pistes pour ses reportages, je lui ai avoué combien je l’enviais et combien j’aurais voulu l’accompagner à travers mon Damas natal.
« C’est le premier martyr non syrien de la presse libre» écrit l’opposante syrienne Suheir Atassi sur sa page Facebook en ajoutant, « le sang des Syriens s’est mêlé aujourd’hui à celui des témoins de notre révolution pour la liberté ! ». Suheir Atassi rappelle que huit Syriens ont été tués avec Gilles à Homs.
Au téléphone, de Damas, il m’a raconté sa visite  dans les souks dimanche, avec Christophe son cameraman. Il était allé voir les pèlerins chiites iraniens et pakistanais à la petite mosquée de Sitti Roqya. Il m’a dit son étonnement de voir la vie animée dans les quartiers du centre de Damas où la protestation est imperceptible.
Ce mercredi matin encore, en route pour Homs, il a appelé un ami syrien pour organiser un reportage qu’il voulait tourner sur la dégradation de la situation économique dans le pays. En grand professionnel soucieux de toute la vérité, il voulait couvrir tous les aspects de la crise syrienne.
J’avais conseillé à Gilles de ne pas manquer de goûter aux délices des abricots confits et du nougat aux pistaches des confiseurs syriens. Je ne sais pas s’il a trouvé le temps de le faire avant de se rendre dans Homs la maudite ! »

 

Par Hala Kodmani

L’ensemble de la rédaction de The Pariser pense très fort à sa femme qui, photographe pour Paris Match, était à ses côtés, et ses jumelles âgées d’un an.

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