26 mars 2016
Haendel à l’heure mussolinienne

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La vanité politique n’a pas d’âge : avec Robert Carsen à la manœuvre au Theater an der Wien, l’Agrippina de Haendel, témoignage d’un génie qui n’a pas attendu les années pour éclore et relate l’ascension de Néron au trône, sinueuse et semée de complots, s’habille naturellement d’une acuité moderne. Le décor reconstitue le Palazzo della Civilità Italiana, monumental bâtiment aux allures de Colisée commandé par Mussolini pour le quartier de l’EUR à Rome, et racheté l’an dernier par Fendi pour y installer son siège – confirmant par là que la mode capitalistique s’accommode aisément des restes du fascisme.

Rome aux couleurs fascistes

La machiavélique matrone manipulatrice à brushing peroxydé surveille son empire depuis les écrans de son bureau de chef d’entreprise, tandis qu’elle encourage lascivement les deux prétendants concurrents à son cœur, Narcisse et Palante, avant le retour de l’époux Claudio, aux allures de Duce, que l’on croyait mort au combat. Dans ce huis clos de plaisirs et de rivalités assassines, les torses se dénudent au bord d’une piscine où déambulent maillots de bain et lunettes fumées de fashionistas. Si la débauche au pays de Berlusconi finit par satisfaire les appétits de chacun, le spectacle se referme sur les meurtres futurs de Néron, devançant les développements ultérieurs de l’histoire tel un instantané prémonitoire au-delà du finale heureux. Avec la maîtrise qu’on lui connaît, le prolifique metteur en scène canadien mêle avec virtuosité humour et crudité politique, sans jamais céder sur le perfection visuelle, faisant de cette production viennoise l’une de ses plus belles réussites récentes.

Un festin musical

Elle s’appuie d’ailleurs sur un plateau de premier ordre, qui n’hésite pas à offrir une tribune à la génération montante. Dans le rôle-titre, Patricia Bardon concentre l’arrogance avide de cabales qui résume admirablement le personnage, avec une sophistication calculée qui pourrait s’enrichir ça et là d’un peu plus de chair. En Poppea, Danielle de Niese déploie une évidente séduction, palpitant d’une féminité rehaussée par une musicalité indéniable. Mika Kares incarne sans faiblesse l’autorité un rien brutale de Claudio. Membre du Jungen Ensembles des Theater an der Wien, Jake Arditti assume l’androgynie de Nerone, sans négliger un soupçon d’acidité. Egalement inscrit au studio de l’institution viennoise, Christoph Seidl trouve en Lesbo un tremplin pour faire mûrir son timbre de basse. Côté contre-ténors, on peut opposer l’élégiaque Ottone de Filippo Mineccia au plus insouciant Narciso de Tom Verney. Quant à Damien Pass, ancien pensionnaire de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, il confirme en Pallante une prometteuse étendue de moyens.

Avec Thomas Hengelbrock à la tête de son Balthasar Neumann Ensemble que la fosse autrichienne accueille pour la première fois, la profusion handélienne s’épanouit magistralement, dans des textures et des couleurs puissamment généreuses. Que ceux qui ne peuvent assister à Vienne à ce festin baroque se consolent : une retransmission en léger différé en prévu mardi 29 mars sur Mezzo, en attendant de voir cette Agrippina tourner en Europe…

Par Gilles Charlassier

Agrippina, Theater an der Wien, Vienne, jusqu’au 2 avril 2016

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