6 septembre 2012
L’écrivain amateur

Lorsque vous lirez cet article, La liste de mes envies aura dépassé les 300 000 exemplaires. Un écrivain qui a rencontré son public, quoi! La chose est rare, Grégoire Delacourt le sait. Il n’abandonnera d’ailleurs pas, malgré l’engouement autour de son livre, sa vie d’avant. Celle d’un publiciste, seul passage vraiment autobiographique de L’écrivain de la famille, son premier livre vendu à 19 000 exemplaires -ce qui était déjà à l’époque un succès. « Un métier où parfois on vend des choses qu’on aime pas » mais qu’il avait choisi de traiter du côté de la lumière, évitant les aspects sombres de 99 francs de Beigbeder. De toutes les façons, il ne les a pas connus, à part lorsqu’il fut viré comme un malpropre, « à l’américaine », obligé de rendre tout rendre,« clés de la bagnole, ordinateur, portable » en janvier 2004.« Une journée de merde » qu’il décida de transformer en chance, créant sa boite de pub le lendemain en l’appelant, en pied de nez, « Quelle belle journée ». C’est là qu’il  reçoit, dans un dernier étage superbement arrangé en loft mêlant des fauteuils en cuir des années 70 chinés et des grandes tables Ikéa, le tout avec une vue saisissante sur Paris, en haut d’un immeuble qui abrite le théâtre Saint Georges.

Comment réagissez vous à ce succès? 

Vous savez, l’écriture, c’est un travail qui va de la solitude à une grande partouze généralisée pour que cela se passe bien…Il y a un temps qui est solitaire puis, après,  il y a la confrontation du livre avec le réel, ce qui passe par l’éditeur et un petit coeur de libraires. Et à la fin,  il y a les gens. Leur retour est toujours fracassant. J’adore les salons, ce moment joyeux où les auteurs qui ne gagnent pas d’argent sont invités; ils bouffent, ils picolent, ils rencontrent d’ autres auteurs. Sinon, on ne se croiserait jamais! Pour mon premier livre, j’en ai fait beaucoup; j’ai appris à parler du livre. Imaginez, vous êtes là avec votre pile,  David Foekinos à gauche, Delphine de Vigan à droite et qu’il y a personne pour vous! Il faut savoir y aller, surtout quand vous vendez sept à huit livres sur un salon, la moyenne! Il y a tellement de choses bien…Ce que j’essaye alors, dans ces rencontres et dans mes livres, c’est d’avoir de la tendresse humaine. Je passe beaucoup de temps avec les gens. C’est très impressionnant un auteur! Il y a des gens par exemple, il ne faut pas trop les regarder; ils prennent leur temps,  retournent le livre, regarde son prix. On ne se rend pas compte de son impact; 22 euros, ils reposent, trop cher. Moi, j’ écris pas trop cher et pas trop long non plus. C’ est une politesse le prix des choses. Thomas d’Aquin disait que « le juste prix c’est celui où les deux parties ont l’ impression de faire une affaire ». Monsieur veut de l’ historique, du polar, madame veut du roman français;  ils ont cinquante euros et ont déjà acheté deux BD pour les enfants. Lequel des deux va gagner?

Comment passe-t’on de publicitaire à écrivain édité?

J’ ai eu une bonne fée, Jean Louis Fournier (auteur de Veuf et On va où papa?, prix Femina chez Stock) qui m’ a mis le pied à l’ étrier. Je lui rendrai hommage toute ma vie. Je l’ ai connu grâce à Il a tué personne mon papa, un livre de hasard que j’ ai trouvé un jour à la caisse de la FNAC. En le lisant le soir même, je me suis senti de ma même famille que lui; j’ ai trouvé son adresse et je lui ai déposé mon manuscrit. Trois jours après, il m’a appelé. C’ était L’ écrivain de la famille , on était en décembre 2009. Il m’ a alors dit « Bon Noël » et en en janvier, Lattès m’a appelé pour me dire qu’ils  avaient reçu le manuscrit  de sa part et qu’ ils le publiaient.

Ce qui était incroyable, c’est de vous voir à côté des romans dits de plage durant tout l’été…

J’ai bossé pour une campagne de pub pour Folio autrefois. Il faut le savoir, les acheteurs des grandes surfaces ne lisent pas. Ils prennent le classement, commandent les 20 livres de poche en tête et c’est tout. Dès que vous avez atteint cette visibilité, les gens se disent « ça doit être bien ». C’ est la loi du marché. Aujourd’hui on en est à 299 133, j’ai reçu le fax tout à l’heure. Après pourquoi celui-la marche et pas un autre, c’ est imprévisible; le bon moment, la conjonction de choses…Il y a plein de livres extraordinaires qui ne marchent pas et des merdes qui font un carton. En vérité, il n’y a pas de recette et c’est ça qui rend l’écriture magique. Mes potes qui ont fait le film Intouchables (les réalisateurs Olivier Nakache et Eric Tolédano) , ils sentaient que ça allait marcher, mais à 19 millions d’entrées, ils ont rien compris! C’était atomique.

Vous allez faire quoi avec votre « gros lot  » à vous? Acheter une maison comme le héros de votre livre précédent?

Je sais pas ce je vais en faire. Garder ma liberté avant tout.C’est amusant car dans L’écrivain de la famille, j’ai beaucoup tricoté entre le faux et le vrai, mais tout le monde croit que c’est ma vraie vie! Comme mes amis d’ enfance qui me disent « eh bien ta mère, on savait pas qu’elle était comme ça! » J’ ai essayé en fait d’universaliser les choses, savoir si un enfant peut réparer sa famille. C’est un livre plein de nostalgie sur ces années 70 où les femmes avaient cette élégance désinvolte, les années Emmanuelle, Claude Sautet, des années libres.

Nous voilà alors à parler de cette liberté de fumer, comment on passe presque pour un criminel lorsqu’on allume désormais une cigarette. « Vous pouvez fumer ici d’ailleurs » me dit-il,  « je suis chez moi, je fais ce que je veux ». Et d’ajouter qu’un blog l’a accusé d’être subventionné par le lobby du tabac au vu de toutes les mentions dans son livre sur les cigarettes Menthol de sa mère. La conversation glisse alors sur internet, les nouvelles technologies et le plaisir de s’en passer, me montrant son vieux portable qui ajoute-t’il, « ne fait que des photos floues ».

J’adore envoyer des mots écrits à la place des mails. Le plaisir de coller un timbre, choisir un joli papier. Je me souviens en pension, les lettres de ma mère qu’elle finissait toujours par la mention « Sans me relire »-un joli titre, non? C’est une  tendresse qu’ on fait à l’ autre d’écrire une lettre manuscrite. Un jour d’ailleurs, j’ écrirai ce livre sur ma mère.

Un écrivain peut-il s’ en passer? Albert Cohen, plus récemment Delphine de Vigan, c’est Le sujet, non?

La mère, c’ est une figure, d’ailleurs la mercière de La liste de mes envies, c’ est ma mère; j’ai voulu raconter la manière dont elle regardait le monde, ses enfants, les difficultés avec son mec. J’ ai perdu ma mère pendant l’écriture de mon premier livre, et j’ai eu tellement de plaisir avec le personnage de l’amante que je voulais écrire celui-ci en étant une femme. Un an et demi après, le personnage de Jocelyne est né.

C’est le portrait d’une femme mais également un livre qui parle de notre rapport à l’argent…

Mais cela est venu au dernier moment. Je voulais décrire une femme de 45 ans, à la moitié de sa vie , qui a une vie moyenne au sens noble du terme, deux enfants, un mari, et qui habite en province car j’ aime bien la province. Il ne se passe rien « humainement » selon moi à Paris, on écrit pas des jolis mots comme dans ces villes un peu à l’écart. J’ai été à Arras, car c’est la ville de Jean-Louis Fournier, je ne connaissais pas. Mon héroïne est mercière car mon père avait un magasin de tissu dans le nord; j’ai un souvenir ému de toutes ces nuances de couleurs des bobines de fils. Et là tout d’un coup, on lui offre la possibilité de changer sa vie. Le levier?  J’ai pensé au petit génie qui sort de la lampe pendant qu’elle fait sa lessive mais ça avait déjà été fait- plutôt bien;  puis à une valise pleine de  billets qu’elle trouverait dans la rue ou à un héritage mais bon, il fallait expliquer, la mafia, la famille, etc…  Et puis, par hasard, j’ai lu Aujourd hui en France dans le sud et découvert que les français dépensaient huit milliards d’ euros par an pour le loto. Je me suis alors dit: il est là le rêve.

Le personnage de la psychologue qui travaille pour la Française des jeux qui lui décrit tout ce qui l’attend et la dissuade, entre autre,  de toucher son gros lot, est génial. Elle existe vraiment?

J’ ai tout inventé. La Française des jeux m’a appelé en juin-ils ont mis le temps- pour me dire que tout ce que j’avais écrit était vrai. Ils prétendent évidemment que seuls 5% des gagnants flambent tout car ils ont horreur de dire que gagner autant rend fou! Ils m’ont raconté qu’en fait les gens veulent la même vie- en mieux. Au lieu du jambon sous vide, du jambon à la coupe ou des super saucisses mais qu’ils feront toujours le barbecue dans leur jardin.

Ce n’est pas étonnant, car l’argent est avant tout une vibration…

Exactement, la première chose qu’on leur apprend d’ailleurs, c’est à être riche; conceptualiser le fait, et se décomplexer. Ils font ainsi deux soirées  par an avec les anciens gagnants. Quand ils les emmènent à l’ Opéra, la première question qu’ils posent, c’est « on peut rentrer dedans? » Puis, ils trouvent que la place à cent euros, c’ est cher.

Une tête passe par la porte. L’ heure touche à sa fin, les interviews s’enchainent , deux pages dans Le Monde bientôt. Nous voilà quand même à parler de ce que nous ferions avec 100 millions, une jolie fondation, lui dit qu’il ne changerait pas, « je ne vais quand même  pas virer des gens! » commente-t’il.

Comment voyez-vous la suite?

Je me plie de bonne grâce à tous les salons, la promo en hommage à tous les gens qui ont bossé sur le livre à mes côtés. Les libraires sont super importants. C’est très dur pour eux en ce moment; ils ne vendent pas, ils galèrent, craignent le livre numérique. Alors, j’accompagne  beaucoup le livre. J’ aurai fait 125 visites en tout. L’ été a été incroyable au niveau des ventes. Les gens se sont posés, j’ai eu des éditos en Belgique, des traductions en allemand, en anglais, il va y avoir un film avec Pathé- Karine Viard tient la corde pour le rôle, je suis emballé depuis que je l’ai vu dans Parlez-moi de vous. Y participer?  Ce n’est pas le même métier et je n’ai pas envie de repasser une année à l’écriture du scénario. Non, j’ irai sur le tournage. Je préfère éçrire un autre livre.  La vérité c’est que tout cela est assez joyeux mais ça ne change pas ma vie. Vivre de sa plume, baser ma vie sur un succès éphémère… Si l’on ramène à l’échelle des trente années qu’il me reste à priori encore à vivre, ça fait pas beaucoup de pognon! Guillaume Musso, Ruffin ou Jean d’ Ormesson, cinquante personnes vivent bien de leur plume en France. Il faut un fond de roulement et être super prudent. Ce livre, c’ est comme un cadeau. Mais j’ai besoin de bosser sur du réel; il faut vivre pour écrire, je ne suis pas de cette race-là  à faire un article à droite, une commande à gauche. Moi, j’ écris car j’en ai besoin, que ça me fais super du bien. C’ est érectile, c’ est joyeux, extraordinaire; c’ est pour cela que je veux que ça reste cette joie-là, sans la pression. Rester dans mon plaisir. Quand on voit un film dont le tournage a été galère,  je trouve que ça se voit à l’ écran; pour un livre, c’ est pareil, ça se sent. Le troisième est commencé, j’ essaye un truc très différent, on va voir, sans aucune pression. Quand on vit de ça, on se dit « merde, il faut que ça marche ». Le seul truc qui m’ importe c’est que ceux qui ont aimé le premier livre, ne soient pas déçus par le deuxième, qu’ ils aient envie de me suivre. On ne peut pas aimer tout les livres d’ un même écrivain mais j’aimerai fidéliser. Il y  aura des crus un peu meilleurs comme dans le beaujolais nouveau, mais je voudrais avant tout que mes lecteurs soient contents…

 

Delacourt, marchand de bonheur? En tous cas « au service »; de sa mercière, de ses lecteurs auxquels il a offert de ces petits livres qui vous font du bien, comme une tape amicale sur le dos que la vie vous offrirait au détour d’une histoire qui pourtant ne finit pas très bien…

 

Par Laetitia Monsacré

Un détour obligé, le site de Grégoire Delacourt- un modèle du genre et de quoi vraiment vous faire envie…

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