2 février 2012
L’autre grande dame brune

Barbara, Juliette. Pas les mêmes du tout mais alors quelles carrières! Quelles voix! Avec le Châtelet en commun. Le 7 février, Juliette Gréco aura 85 ans sur cette même scène, qui vit les adieux en 1993 à demi-mots de Barbara. Ceux qui y étaient s’en souviennent encore- la salle entière, debout, respirant, retenant son souffle pour lui dire son amour et la soutenir …Un disque chez Deutsche Grammophone- « Ça se traverse et c’est beau »- un livre « Je suis faite comme ça »- hommage à la chanson écrite par Prévert-publié chez Flammarion, une soirée pour elle toute seule sur Arte, voilà cette panthère lancée depuis les années 50 qui revient sur le devant de la scène, ses beaux yeux toujours couronnés de rimmel et sa voix qui n’a pas bougé: Sa meilleure amie, toujours là, depuis qu’un monsieur lui a proposé de passer chez lui un matin, il y a soixante ans de ça.« Je vais vous faire un cadeau, une chanson sur laquelle j’ai écrit une musique, mais elle ne me plait pas. « . C’était Jean-Paul Sartre. Kosma vint faire la musique et voilà Juliette, lancée « ce fut aussi simple que ça ». L’écriture généreuse et chaude comme dans ses chansons, on la découvre dans ce livre, de la petite fille mal aimée par sa mère, élevée dans la bourgeoisie bordelaise et qui se retrouva seule à Paris, après avoir failli être comme sa mère et sa soeur, envoyée dans les camps. Elle raconte tout cela du bout des lèvres, la Gréco comme on l’appelle, dans ses mémoires. Ses histoires d’amour sont résumées en quelques mots « Nous nous aimons » pour Miles Davis dont elle dit ne pas avoir remarqué qu’il était noir la première fois qu’elle le vit! Ou Mister Zanuck, « une histoire forte (…) qui durera plusieurs années ». Lire ses courts chapitres, c’est entendre sa voix feutrée nous raconter ses rencontres- Léo Ferré, Brassens, Brel, Prévert, Trenet, Aznavour, Gainsbourg- pas un ne manque. Elle explique aussi ce rapport qu’elle a avec la scène, ce public « sa raison d’être », ses mains comme des oiseaux, ou comment elle chante sans ouvrir la bouche en coulisse pour se préparer et qu’elle s’est arrêtée net lors d’un concert à Gstaad où personne ne l’écoutait. Fidèle et libre sont sans doute les deux mots qui la caractérisent le mieux. « Je n’ai jamais rien fait pour plaire-ou peut être tout! Qui sait… » résume-t’elle, revenant également sur ses engagements-« je défends une certaine idée du monde ». Ainsi, elle raconte comment certaines femmes viennent dans la rue l’embrasser en lui disant-« sans vous, je n’y serais jamais arrivée. ». Deux avortements, une tentative de suicide, voilà la vie d’une femme rescapée d’un siècle qui ne fut pas plus doux avec elle qu’une autre mais qui lui a offert des rencontres magnifiques comme celle de Françoise Sagan; et aujourd’hui encore des artistes tels Guillaume Gallienne, Philippe Sollers ou Marc Lavoine, venus l’accompagner sur ce très joli disque où avec l’aide de son époux actuel, le compositeur et pianiste Gérard Jouannest, il est beaucoup question de ponts et de Paris. « Juliette n’attend pas, Juliette est une diva » s’amuse Amélie Nothomb dans un texte, Melody Gardot chante en duo Sous les ponts de Paris en français et Féfé, lui offre une seconde jeunesse avec un « Paris se rêve » d’une fraicheur jubilatoire. Alors la retraite? Réponse dans son abécédaire: « C’est un terme militaire , non? « 

 

Par Laetitia Monsacré

 

Ça se traverse et c’est beau, disque chez Deutsche Grammophone

Je suis faite comme ça, de Juliette Gréco chez Flammarion

Juliette Gréco, l’insoumise documentaire de Yves Riou et Philippe Pouchain suivi de Juliette Gréco à L’Olympia en 2004 -le dimanche 5 février sur Arte

Articles similaires

Mots clés : ,