2 juillet 2012
Gentleman culturel

Dans le petit bureau niché au fond d’une jolie cour près du jardin du Luxembourg, Alan Riding, en souriant malicieusement,  sort deux mugs. L’un avec un ballon de foot et l’autre, kitchissime, datant du mariage de Kate et Williams. Sur les murs des centaines de livres chez cet anglais qui,  ne boit pas de thé et a été correspondant culturel pendant douze ans pour le New York Times. Certains ont été écrits par lui -sur Shakespeare ou l’Opéra- d’autres lus, notamment pour son  dernier opus Et la fête continue, bien rangé sur une étagère avec ses différentes traductions. Le  fruit de deux ans de travail afin de décrire cette période de l’occupation où artistes et intellectuels français se sentirent, pour reprendre la célèbre phrase d’Arletty « plus ou moins résistants« (voir article). Son français est parfait, l’accent délicieux tout comme l’homme qui travaille déjà sur autre chose,  les textes et légendes de Genèse,  exposition du photographe brésilien Salgado qui va faire le tour du monde. « Il me raconte ses histoires, je les organise » résume-t’il, né lui aussi au Brésil,  éternel curieux parlant quatre langues-ce qui a fait de lui un correspondant étranger aussi brillant que facétieux, et qui contacté par le MI6( les services secrets britaniques) aurait pu devenir agent secret, plus proche de Shakespeare que de Ian Flemming …

Pourquoi avoir eu envie d’écrire Et la fête continue?

Je devais un livre à mon éditeur américain après celui sur le Mexique qui avait formidablement bien marché.  Je l’avais écrit alors que j’y étais correspondant pour donner une idée de ce qu’était ce pays devant la méconnaissance que l’on avait de ses fonctionnements, raconter par exemple  comment, si la classe moyenne ne s’occupe pas de la politique,  on lui assurait en échange la croissance économique- version chinoise…L’occupation en France, c’était depuis quinze ans un sujet qui me trottait dans la tête, une sorte de parachute pour quand ma correspondance s’arrêterait. Lorsque j’ai été dans ces dictatures sud américaines, j’ai toujours voulu comprendre l’importance de l’intellectuel dans son pays, cette « conscience » qu’il représente  et sa relation avec le pouvoir.

Il y avait des précédents car la période est un peu délicate à traiter…

Oui, mais les écrits qui existaient étaient plus proches de la thèse ou du doctorat. De mon côté je suis resté très « neutre »; je crois que c’est mon expérience en Amérique Latine qui m’a permis de m’attacher aux  dilemmes. Quand on a vécu tous ces changements soudains dans des états où prendre une position est toujours très délicat, cela conduit à la prudence dans les jugements…Le livre marche très bien au Brésil qui a connu vingt ans de dictature militaire et qui a du attendre 25 ans pour établir une commission de la vérité. Ainsi, on voit la confusion de Gide par rapport au communisme puis au nazisme. Il y a toujours cette question « Qu’est ce que j’aurai fait? » Dans ces dictatures, moi je pouvais toujours prendre un avion et partir mais je me suis rendu compte que le choix n’étaient pas seulement entre être courageux ou être lâche.

A partir de quel moment en décidant d’être actif  par exemple pour aider des artistes juifs n’y avait il pas ce risque de tomber dans la collaboration?

La frontière était très tenue. Mais chez certains comme Sacha Guitry, leur narcissisme les empêchait de sortir de la scène. Alors il n’était pas nazi, mais il était obligé à des compromissions. Ce qui était frappant, c’est qu’il y a eu très peu d’écrits venant des intellectuels sur la condition qui était faite aux juifs dans la presse de l’époque.

Il se lève alors et me tend une lettre qu’on lui a transmise dans laquelle un homme se plaint auprès des officiels allemands que son cordonnier, récemment déporté, ne puisse de ce fait lui rendre  deux paires de chaussures qu’il lui avait confiées…Des chaussures  plus chères qu’une vie.

Un chapitre est également incroyable, celui sur Florence Gould. 

Oui,  d’ailleurs j’en ai tiré une pièce sur cette riche américaine qui tenait pendant la guerre un salon mêlant intellectuels français et officiers allemands…Mais c’est compliqué en France de monter une pièce.

Correspondant culturel en Europe cela consistait en quoi?

Il fallait avoir une vraie histoire pour proposer des sujets; pour les écrivains, c’étaient par exemple les prix Nobel ou des icônes de la culture comme Ingmar Bergman-qui détestait les interviews mais c’est vrai qu’avec le NY Times, les portes s’ouvraient toutes…Ou encore, des écrivains un peu sulfureux dont les livres allaient sortir en anglais. J’avais environ six articles par mois à fournir.

Si vous deviez décrire en une phrase les français,  quelle serait -elle?

Très long silence. C’est un mélange d’assurance et d’insécurité. De vouloir toujours s’assurer que la France est spéciale et différente devant une évidence un peu différente. Les français ont une vraie difficulté à combiner la spécificité qui est la leur avec la réalité du monde.

Et pour finir leur plus grand défaut ? Et qualité?

Plus grande qualité? Ils sont intéressés par les idées. Plus grand défaut, ils sont me semble -t’il plus méfiants que nécessaire. On peut être plus ouvert, avec un peu plus de chaleur et d’émotion sans penser que l’on risque trop…

Sans doute chez cet anglais qui a choisit de vivre à Paris, une affaire de générosité qu’il cultive lui même avec une élégance et un détachement so british, pour offrir à l’arrivée, un bel exemple de  bonheur qu’il a la grâce de rendre communicatif.

Par Laetitia Monsacré

Articles similaires