Françoise Giroud est morte il y a déjà dix ans. Née en 1916, elle resta jusqu’à sa mort une très belle femme, avec l’ élégance d’un chatte abyssinienne, elle qui aimait tant les félins d’appartement. Elle aimait aussi les hommes mais plus encore les mots. Alors quel cadeau somptueux que ce manuscrit inédit Histoire d’une femme libre, retrouvé par la grâce d’Alix de Saint-André dans un carton bien rangé à l’IMEC, des archives privées dans une ancienne abbaye à Caen, un lieu apparemment boudé par ses deux précédentes biographes, Christine Ockrent et Laure Adler… Il faut avoir de l’amour à donner aux choses et aux gens pour que les deux viennent à vous sans doute… Alix de Saint-André en avait à revendre à lire le livre épatant que cette aventure lui a inspirée, Garde tes larmes pour plus tard et qui est sorti en même temps que celui de la grande Françoise -tous deux dans la collection blanche de Gallimard. Autant dire que les deux ouvrages semblent dialoguer l’un avec l’autre; le premier, d’une écrivain partie sur les traces de cette femme qui devint son amie tout en gardant jalousement ses zones d’ ombres. Une quête dans laquelle la fille de Françoise Giroud, Caroline Eliacheff puis bientôt toute la famille et quantité de témoins ou autres personnes de bonne volonté, se relayèrent pour aider Alix de Saint-André à retrouver les origines de cette femme qui traversa le siècle sans n’y avoir jamais été dans la » salle d’attente ».
Entre Don Quichotte et Sherlock Holmes
C’ est avec une générosité débordante que l’ auteur du déjà jubilatoire En avant toute! plonge dans l’ histoire familiale de France Gourdji, petite fille juive au père mort de la syphilis, baptisée par un curé pendant la guerre, un de ces « justes » anonymes. De quoi revisiter les années sombres de l’occupation sans s’ ennuyer une seconde en lisant les déambulations de ce Sherlock Holmes au féminin; un peu Don Quichotte aussi, en rétablissant la vérité après le passage opportuniste de ces deux précédentes biographes, l’une perfide, l’autre en dilettante. Mais revenons à ce fameux manuscrit découvert Histoire d’une femme libre qui dans son titre- Giroud en bonne journaliste y excellait- dit déjà tout. Ecrit juste après sa tentative de suicide suivant l’abandon sentimental et professionnel de Jean-Jacques Servan Schreiber, Florence Malraux et d’ autres proches le jugèrent à l’époque, impubliable. Quel bonheur pourtant que de retrouver cette mélodie « giroudienne », polissant chaque phrase, taillant chaque paragraphe et offrant cette musique parfaitement rythmée à l’image de ses merveilles de portraits dans Françoise Giroud vous présente tout Paris, que Gallimard a eu la très bonne idée de rééditer également en ce début d’année.
L’ amour, » une prison seul ou à deux »
Issue elle aussi d’une famille dans laquelle on ne pleure pas, point commun avec Alix qui en a tiré le titre de son livre, elle aurait pu commencer son livre en paraphrasant De Gaulle: « Je me suis toujours fait une certaine idée de la liberté ». Chose pour laquelle elle eut, comme pour le bonheur » des aptitudes mais peu de dons ». Et ainsi de continuer : « Ma liberté, j’ en connais la limite. Je l’ ai touchée le jour où j ai voulu abréger ma vie pour sortir d’un camp de concentration où je m’ étais enfermée, et dont je ne trouvais pas l’ issue. J’ ai étrangement échoué, en dépit d’ une bonne organisation. Choisir sa mort, l’heure et la forme de sa mort, c’est cependant l’expression la plus pure de la liberté. Elle m’a été interdite. » Voilà qui fut une chose heureuse lorsque l’ on pense à tout ce qu’ elle fit après ce jour d’été 1960, son retour à l’Express dont elle fut le pilier, rewritant, coupant, modifiant et donnant forme aux articles des autres sans relâche, jusque sur les presses, ces jeunes journalistes qu’elle forma, ce secrétariat d’Etat à la Condition Féminine, puis à la Culture. Et par la suite, ce regard quasi implacable qu’elle conserva jusqu’à la fin sur notre société. Tout cela venant d’ une petite fille qui était « la pauvre » de l’ école, cette misère qui vous colle à la peau, avec des débuts de mois aussi difficiles que les fins. Heureusement il y eut la mère solaire « où passe maman, la laideur fond à sa flamme, sur les murs comme les visages », puis son mentor JJSS, qui professionnellement « ne craignait rien des femmes », et avec lui, cette histoire d’amour , lequel « est toujours une prison, et jamais à perpétuité. Partagé, c’est la prison à deux, l’un devenant le geôlier de l’autre. Malheureux, c’est la prison seule. Où que l’on aille les barreaux sont là et l’on s’y cogne le coeur. » Merci Alix, Merci Françoise.
LM
Garde tes larmes pour plus tard de Alix de Saint-André et Histoire d’une femme libre de Françoise Giroud publiés chez Gallimard