24 octobre 2017
Fukushima à l’Opéra Comique

Si l’actualité peut être un sujet tentant au théâtre, l’opéra n’y échappe pas, et le drame de Fukushima a déjà inspiré des créations lyriques, à l’exemple de Stilles Meer de Toshio Hosokawa, créé à Hambourg l’an dernier. L’ouvrage commandé à Philippe Manoury est singulier à plus d’un titre. Outre une – modeste – partie financée de manière participative, qui a surtout présenté l’avantage d’immerger les futurs spectateurs dans la création, alors que la salle Favart était fermée pour travaux, c’est d’abord une forme qui se distingue de ce que l’on a l’habitude de voir sur une scène d’opéra. En coproduisant avec la Ruhrtriennale, qui a donné le spectacle en première mondiale en août dernier, et Musica à Strasbourg, où il a été donné en septembre avant de venir à Paris, le Comique prenait sciemment une voie iconoclaste.

Un spectacle immersif

Intitulée « thinkspiel » plutôt qu’opéra ou drame lyrique, l’oeuvre s’affranchit de plusieurs contraintes associées au genre. Inspiré par un monologue écrit par Elfriede Jelinek à la suite du tsunami japonais, le livret fait l’économie de personnages clairement identifiés et favorise une expérience immersive plus proche de l’installation théâtrale et musicale. Le parti en est d’ailleurs pleinement assumé par la musique de Philippe Manoury, plus soucieuse d’efficacité scénique que d’égoïste originalité. Le compositeur a d’ailleurs travaillé en synchronie, avec le metteur en scène Nicolas Stemann, jusqu’à improviser entre chaque tableau un discours, en bottes, au micro, interrogeant non sans humour notre dépendance à la technologie.
Cette dernière est d’ailleurs omniprésente, grâce à l’informatique de l’Ircam, qui environne le spectateur de boucles et d’effets électroacoustiques, tandis que le plateau baigne dans l’eau – même le chef chaussera des bottes pour saluer. Au-delà de l’évidente analogie avec les inondations consécutives à la catastrophe nippone, c’est d’abord une interrogation à la fois grave et ludique sur notre modernité problématique que Kein Licht propose au fil de deux heures quinze sans entracte, hétérogènes et cohérentes en même temps. Sous la houlette de Julien Leroy, les United Instruments of Lucilin s’inscrivent dans le dispositif sonore, tandis qu’aux côtés des répliques déclamées par Caroline Peters et Niels Bormann, sans oublier Cheeky, le chien accompagné par Karina Laproye, les solistes vocaux, de Sarah Maria Sun à Lionel Peintre, en passant par Olivia Vermeulen et Christina Daletska, s’investissent dans une expérience qui touche à tous les registres du théâtre et de l’opéra : un chaos ordonné et assumé par l’ensemble de l’équipe créatrice, où l’intérêt de l’ensemble dépasse celui de ses parties.

Par Gilles Charlassier

Kein Licht, Opéra Comique, octobre 2017

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