18 novembre 2012
Fondation Cartier-Bresson / Moï Wer, l’étoile fuyante

Si le nom de Moï Wer ne vous dit rien, pas plus que celui de Moses Vorobeichic ni même celui de Moshe Raviv, pas d’inquiétude. C’est la première fois que le travail de ce photographe d’origine lituanienne, aux identités aussi fluctuantes que complexes, est présenté à Paris. Une initiative de la Fondation Henri Cartier-Bresson qui, dans le cadre du Mois de la Photo, fait le choix audacieux de mettre au grand jour et sur deux salles, les 110 tirages originaux montés sur papier Canson issus de la maquette de l’ouvrage Ci-Contre, troisième et dernier grand projet photographique de Moï Wer, réalisé au cours de l’année 1931, égaré puis retrouvé par les collectionneurs Ann et Jürgen Wilde à la toute fin des années soixante.

Klee, Kandiski comme inspirateurs

Le parcours étonnant, chahuté par le cours de l’Histoire et les bouleversements politiques de l’époque, d’un artiste marqué par son temps, pour une oeuvre aussi inspirée que fulgurante…Tour à tour étudiant aux Beaux-Arts de Vilnius, élève de l’école du Bahaus en Allemagne et disciple de Fernand Léger à Paris, Moï Wer se nourrit des esprits visionnaires des années vingt-trente. Au plus près de l’avant-garde et de maîtres à penser tels que Paul Klee, Wassily Kandinsky ou encore Laszlo Moholy-Nagy, Moï Wer, laissant de côté sa passion initiale pour la peinture, opte pour la photographie et nous livre des images marquées par l’air de son temps… l’heure est à la révolution tant dans les préoccupations stylistiques que techniques.

A la croisée du Bahaus et de la Nouvelle Vision

Superpositions, sur-impressions, fragmentations, montages, les photographies de Ci-Contre donnent à voir l’étendue de la recherche stylistique de Moï Wer. Tirant partie de la toute fraîche venue des appareils instantanés -le premier Leica fait son apparition- et de la liberté dans la prise de vue qu’ils autorisent, Moï Wer expérimente et use d’une alternance entre plans rapprochés, vues en contre-plongée et cadrages en diagonale. Le résultat est surprenant. L’exposition révèle des clichés qui, selon des sujets aussi divers que l’architecture, la nature morte ou le portrait, livrent tour à tour un graphisme dynamique, presque géométrique mais aussi certains flous poétiques, quasi cinématographiques; l’opposition se faisant parfois même sur une seule image grâce au procédé de la sur-impression, comme cette feuille d’arbre en gros plan, élément naturel, superposée sur le motif très urbain de la Tour Eiffel.

Le beau cadré

Une influence constructiviste dont la maquette de Ci-contre porte la trace effective. La mise en page rigoureuse, tirée au cordeau, les photographies en vis-à-vis, assemblées dans un ordre précis et pensées en résonances par Moï Wer semblent pousser encore plus loin le propos de l’un de ses professeurs, Fernand Léger maître du cubisme:«Le beau est partout autour de nous, il fourmille, mais il faut le voir, l’isoler, l’encadrer par l’objectif». La fondation Cartier-Bresson relève et réussit le pari d’ordonner la production photographique «éclair» de Moï Wer, en enrichissant l’exposition de cartels certes bien ficelés mais aussi en annexant une cinquantaine de photographies de l’artiste, issues de ses précédents projets et en proposant une vitrine retraçant, à l’aide d’ouvrages et de monographies, la vie mouvementée d’un photographe que la presse se plait déjà à nommer «le photographe comète». N’en déplaise à l’âme itinérante de Moshé Raviv ou Moses Vorobeichic dit aussi Moï Wer qui, dans sa quête perpétuelle, délaissera ensuite la photographie pour se consacrer à la peinture religieuse, brouillant une dernière fois les pistes de son histoire d’amour avec la photographie… une histoire qui n’aura au final duré que trois ans.

Par Audrey Campion

Mois de la Photo 2012 Ci-contre à la Fondation Henri Cartier-Bresson – jusqu’au 23 déc. 2012

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