12 mars 2015
Flamenco et homosexualité à Madrid

El publico 7618
C’était un projet auquel Gerard Mortier était particulièrement attaché ; en présentant l’adaptation lyrique d’El Público de Garcia Lorca qu’il avait commandée à Mauricio Sotelo en 2012, le Teatro Real lui rend en un certain sens hommage. Une des premières pièces à aborder de manière aussi directe l’homosexualité masculine, l’opus du poète andalou a attendu les années soixante-dix pour être publiée et portée à la scène, auréolée d’une réputation sulfureuse à cause de sa thématique, mais également handicapée de part l’absence de version définitive, et sans doute au moins autant en raison de sa liberté formelle inédite, admirée entre autres par Ionesco.
Si le livret ne peut manquer de condenser le propos initial, Andrés Ibañez réussit à en restituer l’originalité. Ce qui frappe d’emblée le spectateur, c’est la composition résolument baroque et un foisonnement surréaliste, où s’effacent les repères traditionnels, et se mêlent érotisme et théâtralité, univers équestre et références religieuses. Le tout est porté par un texte dialectique aux résonnances complexes, sans pourtant autant céder à l’intellectualisme, gageure tenue aussi bien par la mise en scène de Robert Castro, derrière ses apparences de maladresse, à rebours des productions léchées que proposent généralement les grandes institutions internationales. On retiendra, entre autres, le quatrième tableau où un Christ en croix est peint en rouge et reflété –ou dupliqué – par les panneaux vitrés.

Prise de risque musicale

L’hétérogénéité assumée se retrouve dans une partition qui reprend l’héritage du flamenco aux côtés de l’exotisme des percussions et d’un effectif orchestral plus classique. Les genres se juxtaposent souvent plus qu’ils ne se fondent l’un dans l’autre, défavorisant en particulier l’écriture symphonique, d’une variété relativement limitée en première partie, avant de trouver un équilibre au fil de la soirée, au bénéfice de l’intensité musicale et dramatique. En dépit d’une certaine inégalité, l’inspiration du compositeur espagnol séduit indéniablement par les risques qu’elle prend, bien davantage que des objets aseptisés d’une plus grande perfection formelle.
Les interprètes soutiennent avec conviction cette création en marge des avant-gardes consacrées. Retenons le couple formés par les deux principaux protagonistes, José Antonio López – Enrique, le directeur de théâtre – et Thomas Tatzl, Gonzalo. Retenons aussi Gun-Brit Barkmin et Isabella Gaudi – Elena et Julieta – ou encore Erin Caves l’empereur, sans oublier les trois chevaux – Arcángel, Jesús Méndez et Rubén Olmo. L’ensemble est porté par la direction habile et sensible de Pablo Heras-Casado, qui se confirme comme l’une des meilleures baguettes de la nouvelle génération, à l’aise dans les répertoires les plus divers : El Público et Garcia Lorca ne sauraient être mieux servis.
Gilles Charlassier
El Público, Teatro Real Madrid, février-mars 2015

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