4 mars 2023
Fin de saison à Bordeaux avec Poulenc et Dialogues des Carmélites

 

La première saison d’Emmanuel Hondré se referme à la manière d’un pont avec la précédente direction de Marc Minkowski : la reprise, dix ans après sa création, des Dialogues des Carmélites coproduits avec Angers Nantes Opéra et mis en scène par Mireille Delunsch, une des sopranos de prédilection du chef français au fil de spectacles et d’enregistrements, en particulier dans le répertoire français. La force de cet ultime opus lyrique de Poulenc – qui prend une teinte singulière à l’heure de la disparition de Kaija Saariaho, à qui est dédiée la première de cette nouvelle série de représentations en ce vendredi 2 juin – commande une certaine humilité, les visions plus ou moins iconoclastes, comme celle, assez nouvelle vague, d’un Christophe Honoré, étant généralement vouées à l’échec. La sobriété efficace et émouvante de la lecture de Mireille Delunsch s’appuie sur une scénographie conçue par Rudy Sabounghi et articulée autour de quelques éléments littéraux et symboliques : chez le Marquis de la Force, un mobilier presque d’époque surmonté de tains qui condensent les peurs de Blanche, des tables nappées de blanc liturgique et un mur au Carmel, ou encore une foule de cierges pour le recueillement comme pour l’échafaud, au diapason des lumières tamisées par Dominique Borrini. Tout l’univers visuel concourt à l’immersion immédiate dans ce huis clos eschatologique à l’heure de la Terreur.

Une belle galerie d’incarnations vocales

Car c’est la vérité des mots et des émotions qui guide une approche au service de l’incarnation des interprètes. Dans le rôle de Blanche de la Force, Anne-Catherine dévoile la familiarité qu’elle a développée au fil des années, avec les tensions émotionnelles du personnage qu’elle a déjà endossé plusieurs fois. On retrouve une telle sincérité dans l’engagement chez la Constance de Lila Dufy, dont le babil fruité contraste avec les timbres diaphanes usuellement distribués dans ce rôle qui condense peut-être, dans son mysticisme naïf et enjoué, une des facettes de la foi catholique du compositeur. Par-delà la surprise des couleurs, le frémissement de la sensibilité est intact.

Ce duo autour duquel s’articule tout l’ouvrage se trouve au milieu d’une galerie de caractères vocalement dessinés. Si Mireille Delunsch privilégie son instinct théâtral en Madame de Croissy, que l’âge lui impose parfois au défi du cœur de sa tessiture, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur fait valoir une Mère Marie à la carrure puissante, avec une indéniable robustesse des moyens. Patrizia Ciofi confère à Madame Lidoine son lyrisme reconnaissable, qui compense intelligemment les réserves techniques qui pourraient lui être opposées. Du côté de la parentèle de Blanche, Thomas Bettinger réserve à son frère, le Chevalier de la Force, une vaillance plutôt franche, quand l’autorité un peu crépusculaire, mais sans perte de son intégrité, du Marquis, est dévolue à Frédéric Caton. Saluons encore la pâte consolatrice de l’Aumônier confiée à Sébastien Droy, sans affectation. Préparés par Salvatore Caputo, le Choeur fournit les effectifs des carmélites et le rôle de Javelinot, le médecin, que complètent avec une juste dose de pittoresque néo-historique les interventions des commissaires, de l’officier ou encore du geôlier. Sous la direction nerveuse d’Emmanuel Villaume, l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine accompagne la tension dramatique de ces Dialogues des carmélites fidèles à la quintessence de l’opéra de Poulenc.

Par Gilles Charlassier

Dialogues des carmélites, Opéra national de Bordeaux, du 2 au 11 juin 2023

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