C’est une tradition non écrite à laquelle peu de maisons d’opéra échappent en France, du moins en province : fin d’année oblige, le répertoire à l’affiche se doit d’être léger, sans doute pour accompagner un consumérisme aussi sinistre que le ciel – encore qu’en ce moment l’on soit plus gâté que de coutume. Pour échapper aux incontournables Offenbach et autres opérettes, l’opéra de Nantes a trouvé la parade en offrant un bain de soleil napolitain, avec une œuvre de Rossini plutôt rarement donnée, Le Turc en Italie.
Ecrit un an après L’Italienne à Alger et deux avant Le Barbier de Séville, l’ouvrage souffre sans doute de ce voisinage et de l’absence de « tubes » dans la partition, mais peut-être également d’une inspiration hétérogène qui rend autant hommage à Mozart qu’elle annonce les développements ultérieurs du bel canto. Reprenant les clichés éculés du genre comique – la coquette, le mari jaloux, l’épouse bafouée et l’oriental infidèle – sachant que tout finira par rentrer dans l’ordre, le livret de Felice Romani habille l’intrigue avec un poète dramatique en quête d’un sujet de comédie, théâtre dans le théâtre qui fait un clin d’œil au Don Alfonso de Cosi fan tutte, véritable démiurge des sentiments.
Italie de carte postale et festin de voix
En authentique professionnel de la scène lyrique, Lee Blakeley, qui a été metteur en scène associé de Covent Garden et Glynderbourne, signe un spectacle enlevé. L’auteur dramatique devient un cinéaste en costume blanc que l’on emporte avec des malles fort tentantes pour les bohémiens – adaptation si naturelle qu’elle se fait à penser sentir, c’est dire son habileté. On déambule dans une évocation d’embarcadère avec la côte amalfitaine en toile de fond. Ça sent l’Italie de carte postale, avec ses cafés et ses nappes à carreaux rouges, sans la grimace de la caricature, grâce à un jeu d’acteurs parfaitement réglé.
Une fraîcheur que l’on retrouve avec des voix jeunes, et en premier lieu, le Selim de Nahuel di Pierro, basse d’à peine trente ans, lequel promène sur le rôle une remarquable assurance, aux graves déjà solides qu’il affirme avec une certaine gourmandise. Nul doute, cet ancien pensionnaire de l’Atelier Lyrique, qui incarne ici son premier grand rôle, se confirme comme l’une des étoiles montantes de la nouvelle génération. Presqu’un sans faute pour l’école américaine avec la légère et pétulante Fiorilla chantée par Rebecca Nelsen et le brillant Narciso de David Portillo, parfait standard du ténor rossinien. On sera plus réservé sur Guiseppinna Bridelli qui ne restitue pas tout l’éclat de sa langue maternelle, tandis que Frank Leguerinel compense avec un irrésistible métier la rondeur vocale que l’on rêverait pour Don Geronio. Nigel Smith se montre à l’aise en Prosdocimo, le poète, alors que Manuel Nuñez Camelino – condisciple de Nahuel di Pierro à l’Atelier Lyrique – rachète par quelques vocalises la tessiture trop médiane d’Albazar. Tout ce petit monde est emmené avec entrain par la baguette de Giuseppe Grazioli. En somme, c’est à Nantes – et Angers – que, cette année, le soleil dansera pour Noël.
GL
Le Turc en Italie, Nantes, du 10 au 19 décembre 2013, et Angers, du 5 au 7 janvier 2014