5 août 2014
Festival Messiaen à la Meije, la musique en grandeur nature

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Avec le glacier de la Meije au balcon, le village de La Grave, où Messiaen aimait venir chaque été, accueille depuis dix-sept ans un festival consacré à l’une des plus importantes figures musicales françaises du vingtième siècle. Se définissant comme « un mélomane passé à l’action », son directeur artistique, Gaétan Puaud, nourrit depuis de nombreuses années une passion pour l’œuvre de Messiaen – il a d’ailleurs rencontré le compositeur en Nantes à la fin des années quatre-vingt – et tout particulièrement Et exspecto resurrectionnem mortuorum, puissante fresque commandée en 1964 par André Malraux, alors ministre de la culture, pour commémorer les morts des deux guerres mondiales, et que Messiaen lui-même avait imaginé pour de grands espaces. Autant dire que le village des Hautes-Alpes où il passait ses vacances constituait l’écrin idéal pour une telle œuvre. Pareille initiative ne pouvait s’accomplir seule. Un festival se devait de naître : on était en 1998. La manifestation a alors progressivement pris de l’ampleur, et, tout en s’enracinant autour de Messiaen, s’est ouverte aux élèves les plus remarquables de celui qui fut l’un des grands pédagogues de l’histoire de la musique, encourageant des personnalités aussi diverses que Boulez, Stockhausen ou Xenakis. C’est d’ailleurs autour de ce compositeur d’origine grecque venu du monde de l’architecture – il a collaboré avec Le Corbusier – que s’élabore la programmation de cette édition 2014.

Le piano en version intellectuelle

On en découvre un remarquable exemple avec le pianiste finlandais Paavali Jumpannen, qui se confronte à Herma, page réputée injouable…excepté par un japonais, Yuki Takahashi, qui créa par coeur en 1961 cette œuvre « très difficile, mais pas impossible ». Xenakis fut l’un des premiers à avoir introduit le hasard statistique dans l’écriture musicale, et cette page en donne un puissant condensé, dont on retient surtout l’énergie qu’elle dégage. C’est également la rigueur mathématique qui impressionne dans la Troisième Sonate de Boulez, restée comme l’une des premières partitions dont l’interprète est le héros : dans chacun des deux mouvements, le compositeur lui a laissé le choix entre plusieurs options, faisant ainsi de chaque interprétation une nouvelle création, même s’il est plus aisé de reconnaître les stéréotypes bouléziens que de suivre ce qui pourrait distinguer les différentes versions. Mi noche Triste Revisited que Pertuu Haapanen a écrit pour Paavali Jumpannen, lequel le donne en première française en cette après-midi dominicale, ramène vers des territoires moins abscons, mais d’une originalité plus discutable. En première partie de concert, le premier livre des Préludes de Debussy offre, avec un admirable sens de la couleur et de la clarté sous les doigts du soliste finlandais, un beau voyage musical qui renseigne de manière lumineuse sur les maîtres qui ont inspiré Messiaen.

Sous le signe de la grâce divine

Car ce n’est pas en vain que celui-ci a été surnommé « le Mozart français », et c’est grâce à cette réputation que les Allemands lui ont passé commande pendant sa captivité à Gorlitz à la fin de l’année 1940 : le Quatuor pour la fin des temps, pour piano, violon, violoncelle et clarinette. En ce 3 août où l’on commémore le centenaire du début de la première guerre mondiale, cette œuvre d’une bouleversante profondeur spirituelle prend un relief singulier. En témoigne l’écoute captive et recueillie des trois cents auditeurs de l’église de La Grave, suspendus à la succession de robustes marches rythmiques, qu’illustre entre autres la Danse de la fureur, et d’extases d’une douceur éthérée à la grâce toute mozartienne, qui reviennent de façon cyclique. On pressent ainsi, par exemple, dans la Louange à l’Eternité de Jésus – le cinquième mouvement – le huitième, Louange à l’Immortalité de Jésus, sur lequel se referme l’œuvre. Le silence qui suit les dernières notes de l’interprétation habitée qu’en livrent Anje Weithas, Florent Boffard, Jean-Guihen Queyras et Jorg Widmann atteste de l’émotion qui a parcouru la nef et l’auditoire. Les trois pièces de Jord Widmann en début de soirée, et constituent,  quant à elles –  tout particulièrement la Fantaisie pour clarinette solo jouée par le compositeur – un bel exemple d’époustouflante virtuosité qui ne sacrifie pas le plaisir immédiat du mélomane, preuve que la musique contemporaine n’est pas une simple affaire intellectuelle et sait aussi parler à la sensibilité, si ce n’est à la sensualité. De ses hauteurs célestes, Messaien ne pourrait qu’acquiescer…
Gilles Charlassier
Festival Messiaen au Pays de la Meije, La Grave, du 26 juillet au 3 août 2014

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