12 février 2018

 

Depuis près de trente ans, Présences met la création contemporaine à l’honneur à Radio France, avec une édition 2018 consacré à Thierry Escaich. Le compositeur français, également organiste, fait figure de fédérateur, même si le remplissage n’a pas toujours suivi. Loin de se limiter à un portrait, la programmation laisse la parole à un évident éclectisme, dont témoigne le dense menu du week-end – une quinzaine de rendez-vous.
Le vendredi soir, le Philharmonique de Radio-France, sous la houlette de Jonathan Stockhammer, c’est la première mondiale du Concerto pour piano de Jean-François Neuburger, dont ce dernier assure lui-même la partie soliste. L’auditeur se laisse séduire par les délicates textures instrumentales, une inspiration à l’allure rhapsodique, même si l’intelligence se trouve parfois submergée par la fluidité des notes. L’écriture très virtuose au clavier ne cède jamais à la vaine démonstration, et la cadence dévoile une musicalité hautement accomplie, qui se retrouve dans une coda raffinée, en forme de pirouette. Les deux partitions d’Escaich du concert divise quelque peu les oreilles averties : Psalmos, symphonie concertante pour orchestre, affirme un savoir-faire évident, entre une ouverture chatoyante et un mouvement lent qui met en valeur les pupitres, à l’exemple d’un lyrique solo de violoncelle, quand la seconde partie de l’oeuvre n’évite pas la redondance. Pour orgue et orchestre, La Barque solaire privilégie un maelström dense, un peu trop pour certains. Quant à Chronochromie de Messaien, ce sont plus d’une vingtaine de minutes que la battue passablement raide finit par rendre rébarbatives. En after, la poignée de mélomanes qui se retrouve dans une Agora pas parfaitement étanche aux vents froids profite d’une immersion électroacoustique qui tire parti de l’originalité des lieux, au fil de quatre performances réalisées avec la collaboration du GRM – Tarmac de Philippe Carson, 2261 de Mario Mary, La Roue Ferris de Bernard Parmegiani et Chronomorphoses de Gilles Racot.

De Jean-François Neuburger à Laurent Cuniot

Samedi après-midi, c’est format de chambre. Plutôt que le concert de 16 heures réunissant deux pièces d’Escaich – Visions nocturnes et Sextet – et deux créations défiant toute avant-garde confiées à Camille Pépin (The Road not taken) et Talisman, du plus rusé Karol Beffa, on s’arrêtera sur le programme de 18 heures, sous les doigts de l’Ensemble Variances. Dans Life, pour ensemble et vidéo de Marijke van Warmerdam, Louis Andriessen suspend le temps dans une extase presque sédative. Les Trois Préludes de Benoît Mernier créés par le violoncelle d’Anssi Karttunen exploitent avec efficacité les ressources de l’instrument, dans des formes consacrées, mais sans aucun académisme. Après le Nocturne pour violoncelle et piano d’Escaich, François-Bernard Mâche fait entendre avec Sopiana une belle alchimie entre la flûte et les sons fixés enregistrés, sur un canevas pianistique, avant une Méditation sur la fin de l’espèce, où Thierry Pécou intègre des chants de baleines préenregistrés dans une sorte d’hypnotique installation que l’on peut juger bavarde, et placée sous la direction de Leo Hussain.
Dimanche, jour de clôture, György Ligeti ouvre le concert de 16 heures donné par l’Ensemble Ictus, avec un Monument-Selbstportait-Bewegung pour deux pianos où se reconnaît l’art du maître hongrois. Fruit d’une commande pour l’émission Alla breve, donnée pour la première fois au concert, Prélude (like Debussy has never heard it) transforme de manière très ludique avec l’informatique musicale le quatrième numéro du Livre I des Préludes du musicien « impressionniste ». Autre création, Restless de Wolfgang Mitterer se concentre autour des modulations métalliques sur le clavier, quand Les Désinences de Michaël Levinas superposent piano et clavier MIDI dans un habile jeu de décalages. Sous la baguette peu concernée de Mikko Franck, le Philharmonique de Radio France referme le festival avec Mystère de l’instant de Dutilleux et le Deuxième Concerto pour orgue d’Escaich, avant deux créations en guise de bouquet final. Pour hautbois et orchestre, L’Ange double de Laurent Cuniot pousse l’instrumentiste dans ses retranchements, et fait valoir une évidente maîtrise des techniques d’écriture, un peu trop exhaustive pour être aisément assimilable par l’auditeur. Quant à La Piste des chants d’Escaich, elle clôt le festin sur un pittoresque facile et décomplexé.

Hélène Carpentier lauréate de Voix nouvelles

Mentionnons pour finir le palmarès de la quatrième édition du concours Voix nouvelles, dont la finale nationale s’est tenue à l’Opéra Comique pendant le week-end Présences, après une série de sélections dans toutes les régions françaises et francophones. Attribué à la brillante et aérienne soprano Hélène Carpentier, 22 ans seulement, le premier prix rend justice à la vocation d’une compétition conçue pour dénicher de nouveaux talents – parmi les lauréats de ce concours qui n’avait plus été organisé depuis 2002, citons Natalie Dessay en 1988, marraine de cette édition 2018 et animatrice de la soirée, Stéphane Degoiut en 1998 ou Nathalie Manfrino quatre ans plus tard. Le reste du tableau ne manque pas à l’honneur, entre, par exemple, la puissance d’Angélique Boudeville ou la présence d’Anas Seguin, même si ces noms ne sont plus de réels inconnus sur les scènes françaises…

Par Gilles Charlassier

Présences, du 6 au 11 février 2018 – Finale Voix nouvelles, 10 février 2018

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