10 septembre 2012
Festin musical à Montreux

Depuis plus d’un siècle la Riviera vaudoise a su faire profiter de la clémence de son micro-climat météorologique autant que politique et fiscal – ainsi Nabokov s’y est-il réfugié pendant la seconde guerre mondiale, dans une aile du célèbre Montreux Palace. Si les amateurs de jazz s’y donnent rendez-vous pour un festival devenu éclectique, les mélomanes retiennent dans leur agenda le Septembre musical avec pour le week-end d’ouverture, le Royal Philharmonic Orchestra qui a pris ses quartiers au bord du lac Léman. Le premier de leur concert à l’Auditorium Stravinski révèle le vainqueur du concours Tchaïkovski de l’année précédente, l’incroyable Daniil Trifonov ; dans le Troisième Concerto de Rachmaninov, d’une virtuosité redoutable parfois à la limite du mauvais goût, le pianiste russe, âgé de seulement vingt-et-un ans, démontre une assurance conquérante à couper le souffle. Habité par la musique, son visage d’adolescent se transfigure littéralement. Avec une transcription d’un lied de Schumann par Liszt donné en bis, le public enthousiasmé a pu encore apprécier la maturité de cet interprète acccompli à la carrière prometteuse.

Plénitude sonore et classicisme

Emmenés par leur chef attitré Charles Dutoit, natif de Lausanne, les musiciens anglais font entendre une plénitude sonore qui n’a pas peur d’un certain classicisme, comme le prouve la célébrissime Cinquième Symphonie de Beethoven, couronnée par un finale imposant. Dans une acoustique désormais impeccablement toilettée – après plusieurs campagnes de travaux –, les contrebasses et les violoncelles rugissent avec une présence aussi jouissive que précise.
Le samedi, David Zinman prend le relais aux côtés de la violoniste Arabella Steinbacher, aussi belle qu’une gravure de mode dans sa mousseline bleue, laquelle donne le meilleur d’elle-même dans l’extrait d’une sonate d’Ysaÿe qu’elle nous sert en bis, compilation de thèmes de Bach délirante de virtuosité. Mieux encore que dans le Cinquième Concerto de Mozart dirigé d’une main un peu lourde parfois, le chef américain s’appuie sur les ressources de l’orchestre anglais pour livrer une Deuxième Symphonie de Brahms large et ample, d’une germanité que l’on n’ose plus aujourd’hui.

Hommage à Markevitch

Cette 66ème  édition du Septembre musical rend par ailleurs hommage à l’un des ses hôtes  les plus brillants, le chef d’orchestre et compositeur Igor Markevitch. Né à Kiev en 1912, il a émigré avec ses parents pendant la Grande Guerre et a longtemps vécu en Suisse avant de s’éteindre à Antibes en 1983. S’il fut un grand pédagogue de la baguette – il eut entre autres pour élève un jeune prodige de neuf ans du nom de Daniel Barenboim – on en oublie le brillant compositeur accaparé par la suite par sa carrière de chef d’orchestre. Le Cantique d’amour, écrit en 1936 et choisi par Charles Dutoit pour son deuxième concert le dimanche, déploie une palette de couleurs raffinée et empreinte de mystère, et ne fait pas pâle figure avant le Concerto pour la main gauche de Ravel antérieur de quelques années, et joué avec une énergie étourdissante par Louis Lortie.
Un second tribut à ce centenaire est donné le dimanche suivant à la lueur des chandelles au Château de Chillon par Varvara, pianiste russe lauréate du concours Géza Anda de cette année, avec Stefan le poète, impressions d’enfance, subtil album d’images qui se souviennent autant de Schumann que s’y distillent des échos de Debussy ou Stravinski. La forteresse médiévale accueille également pour l’occasion une exposition où l’on peut suivre les négociations de contrats en même temps que la courbe de la vie de cette figure majeure de la musique de vingtième siècle, un peu négligée par la mémoire collective. Ainsi au Septembre musical, le classicisme ne se confond-t’il pas avec mainstream…

Par Gilles Charlassier

Septembre musical de Montreux-Vevey, du 30 août au 15 septembre 2012

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