29 janvier 2012

D’abord, il y a le code de ma porte d’entrée : 16 BA 2 … Seize comme la Renault 16 bleu ciel que mes parents conduisaient au tout début des années 1980. Puis BA comme… banane et 2 comme… deux. Il n’a pas changé depuis des années, c’est une chance, mais le syndic parle de mettre une grille supplémentaire sous le porche pour dissuader les cambrioleurs. Assorti d’un nouveau code, évidemment.
Au bureau, la consigne est de présenter son « pass » – morceau de plastique blanc ‘ultrapersonnel’ et ‘imprêtable’ – avant de franchir la grande porte tambour, puis juste avant le tourniquet de verre, enfin devant le mouchard carré de l’ascenseur, sous les numéros des étages. Bref, le jour où tu as oublié ton « pass », c’est l’enfer.
Arrivé au cinquième, il y a un code perso réclamé par une petite boîte grise. Le mien c’est 1033, je me dis « ‘Dites 33 » comme chez le docteur, pour m’en souvenir, avant presser la touche dièse.
Une fois dans l’open space, assis devant l’ordinateur, une autre case du cerveau est sollicitée, celle du protocole d’accès au système. Un numéro pour allumer la bête, un autre pour ouvrir ses mails perso, un troisième pour l’intranet, un quatrième pour le système de la boîte, qui change tous les mois. Huit signes, pas moins, dont des lettres, des chiffres, des majuscules et des minuscules. Et interdit de reprendre deux fois le même code, hein, même à dix ans d’intervalle.
J’ai essayé mes trois prénoms, les quatre saisons, les mois de l’année, les jours de la semaine, en français et en anglais, assortis des tous les chiffres de mon clavier, mais là je commence à manquer d’imagination. Je crois que je vais passer aux fruits et légumes.
Sur le net, qu’il s’agisse de Facebook, d’eBay ou du site d’inscription aux cours de gym, j’essaie de garder le même code, ma date d’anniversaire en double. Pour mon téléphone perso, c’est ça aussi, mais pas pour mon Blackberry, qui a d’ailleurs effacé toutes mes données l’été dernier après trois essais infructueux tentés à mon retour de vacances, l’esprit lavé de tout sésame.
Chez mon amie Anne, c’est 1973. Facile comme date, qui fleure bon les pattes d’eph’ et le Flower power. Moins psychédélique mais pas trop difficile, celui de ma soeur, qui reprend les dates de la guerre d’Algérie : 1954 et 1962. Chez Christophe, le code a plein de cinq, chez Adrien je ne sais plus et chez ma tante, ouf, c’est un interphone.
Chez mon psy, il y a en deux. Le premier c’est 1368. Treize comme vendredi 13, 13 à table, tout ça, et 68 comme la Révolution parisienne avec Daniel Cohn-Bendit. Jusqu’ici tout va bien. Mais pour le second B 9… (quelque chose), je n’ai trouvé aucun moyen mnémotechnique, je dois ouvrir mon Filofax pour le retrouver. Et quand j’ai oublié mon Filofax…. Cette affaire m’a coûté plusieurs séances, c’est-à-dire très cher.
A côté, le ridicule code à quatre chiffres de ma carte bleue paraît bien simple, d’ailleurs il y a longtemps que mes doigts le tapotent sans réfléchir. Mais elle arrive à expiration le mois prochain…
Ma télé aussi réclame un code d’allumage depuis le passage de mes neveux l’an dernier, qui les a vu tripoter tous les boutons des jours entiers. Le code en question est 11111. Facile certes, mais qui ne peut être actionné qu’avec la télécommande. Donc pas de télécommande, pas de code, pas de soirée télé. Pas simple quand on rentre lessivé sans avoir le courage de mettre la maison sans dessus dessous pour retrouver le petit boitier noir abandonné au fond du lit ou sous une pile de linge sale.
Lasse, je me prends à rêver du matin où, fatiguée, j’irai m’assoir sur le trottoir d’à côté. Ou, plus sûrement, dans un fauteuil d’osier à la campagne, avec un chat sur les genoux, dans une grande pièce avec une cheminée qui fume un peu et une porte que l’on verrouille avec une bonne vieille clef en fer qui crisse à cause de la rouille. Une porte qui resterait ouverte la plupart du temps pour faire entrer le parfum de la glycine en fleurs et les voisins bienveillants. Une porte sans code, ouverte sur un monde accessible sans décodeur.

 

Par Dora Barret

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