30 juillet 2015

St Benoit du Sault

Promontoire aux confins du Berry et du val de Creuse, Saint-Benoît-du Sault, et ses rues aux allures de méandres médiévaux, palpite du souvenir d’Eva Ganizate, qui y fit retentir les premiers accents de sa voix lumineuse, et y est inhumée après avoir été fauchée en Bourgogne par une voiture le jour de ses 28 ans. Initié l’an dernier en hommage à la soprano, le festival Eva Ganizate accomplit le désir que la jeune artiste avait de créer un rendez-vous musical sur ces terres du centre de la France, et se confirme, pour sa deuxième édition, comme un creuset original pour les jeunes talents – et pas seulement dans le registre lyrique.

 

L’Opéra comique sous le signe de la complicté

 

De la semaine de concerts dans l’église pure et dépouillée de la bourgade, comme dans celles des communes voisines, on retiendra d’abord les deux soirées de l’Académie de l’Opéra Comique et quatre de ses solistes puisés dans les trois crus de 2012 à 2014 – Eléonore Pancrazi, Valentine Martinez, Vianney Guyonnet et Ronan Debois –  avec un programme resserré et intimiste autour du répertoire français, mêlant grands classiques tels la Séguedille ou le Toast d’Escamillo tirés de Carmen à des raretés souvent oubliés – à tort. Déclinant le sentiment amoureux au fil de toute la gamme expressive, il se montre souriant, sinon piquant avec l’alerte l’opérette Cyprien ôte ta main de là de Messager, où les demoiselles distillent une cabotine rivalité dans le duo des chiens, quand dans celui entre Mouillevert et Chalourdin, on se joue de la saveur parfois grivoise des mots. Le recueillement pointe dans la rare Mort du jeune Werther de Boeldieu et la Chanson du pêcheur de Félicien David, confiées à Ronan Debois, ou encore la Mort de Don Quichotte d’Ibert avec lequel Vianney Guyonnet fait pendant à l’air de l’opéra de Massenet consacré au soldat de la Mancha – Je suis le chevalier errant. On n’oubliera l’incandescence de Valentine Martinez dans la Sapho du compositeur stéphanois. Offenbach ne manque pas à l’appel, avec la coquette Grande Duchesse de Gérostein par Eléonore Pancrazi, tandis que la Barcarolle des Contes d’Hoffmann referme chacun des deux concerts sur un parfum de complicité où l’accompagnement subtil de Magali Albertini ne se relâche pas.

 

Du bel canto à Schubert

 

On le retrouve dans le récital entièrement féminin consacré aux grands airs du bel canto le 22 juillet, tressé de trios religieux de Rossini.  Valentine Martinez ne dément pas son tempérament affirmé, dans la Rosine du Barbier de Séville, autant qu’une Cio-Cio San intense – « Un bel di vedremo ». Sabine Revault d’Allones colore sa Violetta  de sensibles nuances – « Sempre libera » – avant une Casta diva qui n’en oublie pas l’humanité de l’héroïne. Le Smeton d’Estelle Kaïque – « Ah!parea che per incanto » – rend justice à un rôle de travesti. Donizetti s’illustre également avec Marie Planinsek et la pétulante Norina de Don Pasquale – « So anch’io la virtu magica » – à laquelle se mesure sans pâlir sa Lauretta – Gianni Schicchi de Puccini.

Il n’y en a pas que pour les gosiers. En témoigne la remarquable « Schubertiade » en soirée d’ouverture, dans laquelle résonne une Truite avec un quintette emmené par le violon aérien d’Elina Buksha et le piano dense de Nathanaël Gouin, En seconde partie, un florilège de lieder livre une palette interprétative d’une indéniable diversité. Alors que le ténor à l’identité évidemment français de Romain Pascal s’appuie sur la clarté de l’intonation pur mettre en valeur le texte du Frühlingstraum tiré du Voyage d’hiver ou le Mein extrait de La Belle Meunière, Sarah Laulan déploie une richesse de timbre qui éclaire de manière originale la narrativité du Roi de aulnes ou les affects de La Jeune nonne. Quant à Ivan Geissler, il démontre dans cinq pièces choisies au sein du cycle Le Chant du cygne une authentique intelligence du lied avec des accents qui rappellent Dietrich Fischer-Diskau. Autant dire que la Sérénade ou Le Timbre-poste sont ciselés avec un art consommé qui n’a nul besoin d’ostentation pour manifester son élégance naturelle.

Mentionnons encore l’après-midi à quatre mains en compagnie de David Bismuth et Julien Liebeer,  entre Debussy, Ravel, Fauré et Franck – le quasi cinématographique Prélude, fugue et variation de ce dernier retient particulièrement l’attention. On évoquera par ailleurs la venue de Jean-Claude Pennetier et la clôture avec un Orphée aux Enfers réunissant des talents issus de la Guidhall et de l’Académie de l’Opéra Comique, réglé par Pierre Espiau. Excellence et convivialité se donnent la main au festival Eva Ganizate, qui s’affirme comme un rendez-vous à retenir dans la cartographie estivale.

Par Gilles Charlassier

Festival Eva Ganizate – juillet 2015

 

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