7 décembre 2011
Et Christa Wolf s’est en allée

« Ce que j’ai à dire sur moi-même ne peut être que bref et sec », disait Christa Wolf. L’ex RDA avait un grande écrivain. Elle s’est éteinte le 1er décembre à l’âge de 82 ans, laissant un grand vide dans le monde des lettres germaniques. Bref et sec : tout le contraire en somme d’une œuvre dont « Moskauer Novelle » -livre jamais traduit en français- marque le commencement. Nous sommes en 1961- date de la construction du Mur de la Honte par la RDA. La jeune Christa croit aux idéaux socialistes de cette Allemagne nouvelle, édifiée sur les ruines du nazisme. Douze ans plus tôt, en 1949, elle a adhéré au SED, le parti socialiste unifié, mais  déchante vite quand elle voit à l’œuvre ce monolithe inféodé à Moscou. Pourtant, toute sa vie durant, la romancière traînera cette adhésion comme un boulet, comme elle paiera cher les révélations sur ses liens supposés avec la Stasi, la police secrète du régime.
S’arrêter à cela serait injuste. D’abord parce qu’on oublierait son implication dans l’affaire Wolf Biermann. Ce chansonnier contestataire est déchu de sa nationalité est-allemande après avoir reçu l’autorisation de se rendre à Cologne. Avec d’autres, dont Stefan Heym, Christa Wolf rédige alors une protestation contre cette mesure arbitraire. Son divorce avec « l’état ouvrier et paysan » entamé une décennie plus tôt est définitivement consommé.
Christa Wolf aura malgré tout réussi à écrire et à se faire éditer. Après « Le ciel divisé », elle sort en 1968 « Nachdenken über Christa T. », autre livre qui la fait remarquer. Y compris par la RFA, laquelle ne se trompe pas en lui attribuant en 1980 le Prix Georg-Büchner, plus haute distinction littéraire d’outre-Rhin.
La chute du Mur n’étouffe pas ses doutes quant au rythme de la réunification qui s’annonce. Jusqu’au bout, Christa Wolf reste une voix critique dans le nouvel espace germanique. On dira que, jusqu’à la fin, elle est resté adepte du socialisme à visage humain, n’oubliant jamais les laissés-pour-compte, les marginaux, les victimes du capitalisme sauvage. Dans cette histoire tumultueuse, elle demeure une femme sans attache dogmatique, libre en somme. L’un de ses romans a pour titre « Aucun lieu. Nulle part ». Un titre qui sonne presque comme un testament… Bref et sec.

Nicole Bary, traductrice entre autre de Herta Müller, prix Nobel de Littérature 2009 ou encore de Christoph Hein et directrice de collection aux éditions Métailié, a bien connu Christa Wolf dont elle est devenue l’amie. Nous livrons ici l’entretien qu’elle nous a accordé.

 

Qu’est-ce qui vous liait professionnellement ?

Son œuvre, mais surtout un livre, « Trame d’enfance ». Elle décortique les différentes strates d’une personne, en l’occurrence elle-même. Elle fait le lien entre toutes ces strates, l’adolescente qu’elle a été sous le Troisième Reich et la jeune fille engagée pour que les choses changent. À l’époque, je ne la connaissais pas lorsque j’ai lu ce livre. Plus tard, j’ai pris conscience des questions qu’elle posait sur le pays dans lequel elle vivait. Mais j’étais loin de me douter de l’ampleur et de la profondeur qu’avaient pris ces questions et de la réponse qu’elle y apportait. Ce roman est fondamental dans son œuvre. C’est à partir de là que j’ai eu envie de la rencontrer. Je précise tout de même que ce n’était pas le premier livre que je lisais d’elle. J’avais étudié « Le ciel partagé » quand il était sorti. J’avais été très impressionné par le sujet et par l’écriture. À l’époque, on ne comptait même pas sur une main les auteurs qui abordaient ce genre de thèmes. J’ai trouvé qu’elle ne manquait pas de courage pour écrire ça.

 

À votre avis quelle est l’importance de Christa Wolf dans les lettres allemandes et qu’est-ce qui fait sa singularité ?
Si l’on excepte « Die Moskauer Novelle », elle n’a jamais eu l’écriture réaliste en vigueur dans la RDA de l’immédiat après-guerre. Elle avait un talent inouï pour faire passer la matière contemporaine. Même quand elle écrit sur Cassandre et sur Médée, elle mêle toujours des événements qu’elle a personnellement vécus. C’est la base de son écriture. Elle est d’ailleurs une héritière de la littérature classique grecque. Elle prend des événements intimes auxquels elle donne une portée universelle.

 

Dans « Aucun lieu – Nulle part », certains textes font référence au romantisme, à la culture grecque...

Sa source d’inspiration a des origines très lointaines dans la littérature mondiale. Elle trouvait chez les romantiques une matière qui l’a beaucoup nourrie, pas dans le côté image d’Epinal que la France a du romantisme.  Elle avait retenu que celui-ci transfigure le réel. Ce qu’on trouve par exemple chez Novalis.

 

Arrivait-elle à passer ce romantisme dans le filtre du réalisme socialiste ?

Elle ne l’a pas fait justement. D’abord il y a eu un profond malentendu avec « Der geteilte Himmel ». Les autorités n’ont retenu que la scène finale du roman où Rita revient en RDA en métro. Dans « Christa T. », elle aborde un thème honni en Allemagne de l’Est à savoir le suicide (dans une société « heureuse », on ne se suicide pas). Ce livre a déclenché une polémique. D’ailleurs, elle s’est toujours demandé comment le roman avait échappé à la censure. Le livre n’a plus ensuite été édité. Ses ennuis ont commencé à partir de là. Elle fait référence à ses difficultés dans « Un jour dans l’année ». Ses convictions concernant une autre Allemagne ont vite été émoussées. Elle s’est demandée ce qu’il fallait faire. Avec Gerhard (son mari), ils ont hésité à partir. Mais une chose la retenait : ses lecteurs. « Tant que j’ai des lecteurs », disait-elle, je dois rester pour eux. Exactement comme un médecin reste pour ses quelques patients.

 

Est-ce que Christa Wolf, par rapport à d’autres écrivains, a une voix à part ? Si oui, comment la situer dans cette littérature est-allemande ?

Elle a une place à part parce qu’elle a été un précurseur en RDA. Il n’y a malheureusement pas de féminin pour ce mot. Elle a revendiqué dès les années 60 la possibilité de dire « je », un « je » féminin. Ça passait très mal en RDA. On n’acceptait pas la subjectivité dans la littérature. Elle a ouvert la voie. Des écrivains comme Christoph Hein l’ont ensuite rejointe. Christa Wolf a revendiqué très tôt cette posture littéraire.

 

Est-ce que ce titre, « Aucun lieu – Nulle part » ne la définit pas ?

Assurément.

 

La RDA ne meurt-elle pas encore un peu plus avec cette disparition ?

Incontestablement, une page se tourne. Une époque, qui avait commencé avec la mort de Heiner Müller, s’achève avec celle de Christa Wolf. Ce sont les deux grands noms de la génération d’après-guerre en RDA.

 

Christa Wolf était-elle compatible avec la RFA ?

Oui, parce qu’elle avait un réel talent : décrire l’universel.

 

Écrire à partir de l’intime une œuvre de portée universelle ?

Oui. Nous parlions beaucoup de la façon dont la réunification se passait, des laissés-pour-compte, des générations qui avaient du mal à trouver leurs marques dans cette nouvelle Allemagne, de l’inquiétude pour ses enfants et petits-enfants.

 

A-t-elle gardé jusqu’au bout son esprit critique ?

Oui, elle était un esprit libre.

 

Quel souvenir particulier garderez-vous d’elle ?

Quand j’ai ouvert la librairie Le roi des Aulnes à Paris je voulais l’inviter. Je l’ai vue ensuite à la Fête du Livre de Francfort. Je la revois arriver comme si c’était hier. Elle m’a dit : « Ah, c’est vous la libraire ? Entendu, je viendrai à Paris. » Ce qu’elle a fait, y compris du temps de la RDA. Ça se passait comme ça avec elle.

Par William Irigoyen

A noter la rediffusion sur Arte, samedi 10 décembre à 14 h 30 du documentaire intitulé « Un jour, un an, une vie – L’écrivain Christa Wolf »

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