1 janvier 2012
Ecrivain de campagne

Après Himmler, Hollande? Sarkozy avait eu Yasmina Reza, le candidat socialiste aura Laurent Binet, auteur du remarquable et remarqué HHhH (Himmlers Hirn heisst Heydrich, le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich), Goncourt des lycéens l’an dernier et qui vient de remporter le prix des lecteurs du Livre de poche. De cette expérience sortira un livre chez Grasset-après les élections, sans doute écrit avec ce deuxième degré, cette distance dont ce quarantenaire fait preuve, assumant parfaitement son coté « candide ». Car, avec Laurent Binet, le récit de campagne ce sera sans doute « Les Lettres Persanes » version 2012. « Ce beau gosse agrégé de lettres » comme l’a qualifié Valérie Trierweiler, la journaliste compagne de François Hollande, fut d’abord enseignant avant de décrire dans HHhH, cette incroyable histoire de ces deux résistants tchécoslovaques envoyés à Londres pour assassiner Reinhard Heydrich, chef de la Gestapo et des services secrets nazis-autant dire une ordure. Depuis, Laurent Binet est revenu vers des destins plus doux et plus actuels, nous offrant à cette occasion la chance d’une  rencontre pour parler de son futur opus, dans un café du 9ème arrondissement où il a ses habitudes.

Comment s’est faite cette rencontre avec le candidat Hollande?

L’idée m’est venue en regardant The West Wing, une série télévisée américaine qui a pour nom français A la Maison Blanche. Elle parle de la vie, au quotidien, du staff présidentiel américain. On y voit, entre autre, les Guéant et Guaino d’un chef d’état démocrate. Ça m’a donné envie de voir le monde de la politique de plus près. J’ai contacté François Hollande par l’entremise de Valérie Trierweiler qui m’avait interviewé pour Paris Match pour HHhH. En fait, j’avais envie de faire ce que Yasmina Reza avait fait avec Sarkozy il y a cinq ans.

Quelle image et que lien aviez-vous avec la politique hexagonale avant que ne débute cette expérience de chroniqueur ?

J’étais critique. Cela tient sans doute au fait que, dans ma famille, on en parlait beaucoup. Je suis petit-fils et fils de communiste. Mon père a été conseiller municipal à Saint-Germain-en-Laye. Chez moi, on lisait beaucoup Le Canard enchaîné. Je suis très français, au sens où j’aime bien parler politique au bistrot, donner mon avis sur tout et me poser en « spécialiste » d’un tas de choses. Pour résumer, j’avais une position d’amateur un peu éclairé.

Qu’est-ce qui vous frappe en coulisse ?

C’est le fait qu’une équipe, qui fonctionne d’ailleurs en cercles plus ou moins élargis, soit entièrement tendue vers un but. Elle forme une volonté en marche dont le but final est : les élections d’avril et de mai. Ce qui me frappe aussi chez les hommes politiques que je rencontre, pas seulement François Hollande d’ailleurs, c’est le nombre de dossiers qu’ils voient défiler par jour. Je ne sais pas vous mais moi je ne peux traiter au maximum que cinq, six dossiers par semaine. Eux en voient passer quinze par jour, complètement différents. Bien sûr, ils les regardent parfois de façon superficielle mais je trouve impressionnante cette polyvalence, cette adaptabilité. Sans oublier cette faculté à improviser. C’est un métier de la parole, quelle que soit l’étiquette politique.

Est-ce que vous essayez de vous charmer mutuellement ?

J’essaye de m’intégrer afin que lui et ceux qui l’ entourent s’habituent à ma présence. J’essaye de tout faire pour qu’ils soient en confiance, qu’ils soient relâchés avec moi. Bien sûr,ils essaient de me charmer. La séduction est une composante importante de leur travail. C’est presque un réflexe conditionné.

Est-ce qu’on vous demande de montrer ce que vous écrivez?

Les hommes politiques que je côtoie sont suffisamment professionnels pour ne pas me demander une telle chose directement. J’ai d’ailleurs accès à toutes les reunions même si le staff de François Hollande a pu m’en restreindre l’accès. C’est une garde rapprochée qui veille jalousement sur le candidat. Il faut bien comprendre que l’autorisation de suivre un candidat n’ouvre pas automatiquement toutes les portes. Il est d’abord nécessaire d’apprivoiser le milieu. Au départ, c’est au cas par cas.

Est-ce que vous voyez un lien direct entre votre activité de chroniqueur et celle d’un journaliste ?

Il est certain qu’il y a une dimension journalistique dans mon rôle de chroniqueur. Mais je n’en suis pas un. Et donc, je n’en ai ni les réflexes, ni l’audace, ni même l’impudence. Je traîne beaucoup avec eux, je les observe. Dans ma chronique, il sera d’ailleurs aussi question des gens que je côtoie y compris les journalistes donc. Je vois aussi que l’habitude leur permet de décoder plus facilement la parole politique, ce qui me prend beaucoup plus de temps. De mon côté, j’espère pouvoir apporter un peu plus de distance, de recul qu’eux qui sont tout le temps plongés dans ce monde-là. Et puis, contrairement à eux, j’ai une liberté totale. Je ne suis pas tenu à cette pseudo-objectivité, ce ton impersonnel, souvent imposé par leur support. Enfin, j’ai un atout : mon livre paraîtra après les élections. Il y a donc beaucoup moins d’enjeux pour les gens que j’observe. Je ne suis pas une menace.

Est-ce que certains journalistes cherchent à récupérer auprès de vous  des informations ?

Ma place est privilégiée. Elle est à la mesure de la confiance qu’on m’accorde. Si on me permet d’assister à une réunion à huis clos, ce n’est pas pour qu’ensuite j’aille répéter des propos aux journalistes. Dans une logique purement commerciale, j’essaie de garder pour moi l’exclusivité de ces informations. Mais tout est « deal ». Il m’est arrivé de demander à des reporters comment s’est passée telle ou telle réunion, ce qu’ils en pensent. La logique voudrait que je leur donne quelque chose en échange. C’est donc délicat.

Certains voient-ils  en vous un conseiller de François Hollande ?

Non. J’aimerais bien parfois lui donner des conseils, lui souffler un argument, une remarque mais je me retiens.

Vous aurait-on ouvert les portes de la campagne du candidat socialiste si, philosophiquement, vous aviez été de droite ?

Le fait que je ne sois pas de droite à évidemment été un avantage tout comme mon refus  de déjeuner avec Nicolas Sarkozy, ce qui  a  été plutôt bien vu…

Ne craignez-vous pas d’être embrigadé, d’être pour reprendre le titre de votre livre « HHhB » : Hollandes Hirn heisst Binet, le cerveau de Hollande s’appelle Binet ?

(Rires)… du peu que je sais de François Hollande, son cerveau reste le sien. Il écoute les gens mais il n’a pas besoin de cerveau-bis. Quant à l’embrigadement, ça va être précisément une des problématiques du livre. Comme pour HHhH il y aura du méta-discours, une analyse réflexive sur mon objet, sur ce qui se passe et sur mes réactions. Je vois bien que, de temps en temps, je suis sensible à cette machine de séduction qu’est l’homme politique. En même temps, je ne suis pas profondément social-démocrate. Je me sens souvent critique vis-à-vis du positionnement du candidat socialiste. Cette tension va être intéressante.

Dans HHhH il y avait des faits et de la fiction. Et vous interveniez en disant : là, je n’en sais rien. Est-ce qu’on pourra trouver un peu de cela dans votre prochain livre ?

Vous appelez cela de la fiction, j’appelle cela du commentaire. Il y aura un dispositif assez similaire je crois.

Quel sera le titre ?

J’ai plusieurs idées mais vous me permettrez de les garder pour moi.

En tout cas, ce ne sera pas L’aube, le soir ou la nuit pour reprendre celui de Yasmina Reza ?

Non, mais le principe est similaire à celui de Yasmina Reza. Le style et le ton seront en revanche différents. Il y avait des tas de choses intéressantes dans L’aube, le soir ou la nuit. Mais elle a complètement refusé le burlesque. Je trouve ça dommage. Nicolas Sarkozy en est la preuve. Le parti pris de Yasmina Reza était de refuser toute considération politique. Cette démarche a sa cohérence mais si je suivais Federer, je lui parlerai de tennis…

Nicolas Sarkozy aurait dit à Yasmina Reza : « Même si vous me démolissez, vous me grandirez ». Est-ce que François Hollande pourrait utiliser ces mots avec vous ?

François Hollande m’a simplement dit que même en cas de défaite le livre serait intéressant.

Va-t-il le lire ?

Il ne m’a rien dit. C’est d’ailleurs très bien pour l’humilité. Je pense que mon livre est le cadet de ses soucis.

Un de vos illustres confrères, l’écrivain britannique Ian McEwan a écrit en 1992, dans le quotidien The Independant : « la politique est l’ennemi de l’imagination ». Souscrivez-vous à ces propos ?

Non, je trouve la politique assez créative. Evidemment il y a des contraintes de réalisme très lourdes qui pèsent sur ses représentants. La politique est entièrement tournée vers le futur. Le futur reste à inventer.

Est-il possible de croire encore à ce que Michel Rocard appelait « le grand dessein » une fois entré dans l’envers du décor ?

Les mythes ne s’écroulent pas à la découverte de la cuisine politique. Je me doutais qu’il y avait ces coulisses. Par ailleurs, je suis professeur de français. Quand je commente des livres ou des films à mes élèves, ils me disent souvent que j’analyse beaucoup, sous-entendu : je ne me laisse pas aller simplement à la contemplation d’un spectacle. Le plaisir premier n’est aucunement neutralisé par l’analyse, le décodage. De la même manière, les bonus que l’on trouve sur des DVD n’entament pas le plaisir que peuvent avoir les spectateurs à la vue d’un film.

Comment faites-vous avec l’Education Nationale ?

Cela fait deux ans que je suis en disponibilité. Même si je ne suis pas le rythme de la campagne à 100 % cela m’occupe beaucoup.

Comment faites-vous matériellement ?

Grasset, mon éditeur, m’a alloué une enveloppe pour mes frais.

Dans l’équipe de François Hollande, on trouve un autre écrivain, Dan Franck. L’avez-vous rencontré ?

Non. Je crois comprendre qu’il a récemment fait un déplacement en Saône-et-Loire auquel je ne pouvais pas assister. Mais je ne peux pas vous en dire davantage. Je suis complètement dans mon travail.

Pensez-vous que vous pourriez récolter quelques dividendes de cette activité ?

Honnêtement, il m’est arrivé d’y penser. Je me suis imaginé devenir ministre de l’Education pour pouvoir régler des comptes à un ou deux recteurs de Créteil qui m’ont mis des bâtons dans les roues lors de mes demandes de mutation! Cela dit, ça n’arrivera pas. On ne me proposera pas de poste de ministre. De toute façon, je vois bien que je serais incapable de faire ça. Un poste de ministre dépasserait de beaucoup mes capacités de travail !

William Irigoyen

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