2 décembre 2011
DSK, saison 4

 

On croyait que Dominique Strauss-Kahn contre-attaquait enfin. Après une opération de communication dans le journal de Claire Chazal, le livre de Michel Taubmann, Affaire DSK, la contre-enquête, accourait au secours de l’intéressé. Pourtant, l’ancien directeur du FMI renie la seule version qui prend sa défense. Dominique Strauss-Kahn se dit «engagé ni par les écrits ni par les déclarations ou témoignages de quiconque».

Pourquoi repousse-t-il une version qui le dédouane ? Quels sont les éléments du livre qu’il ne reconnaît pas ? Est-ce son hagiographe Michel Taubmann, qui le dérange, lui qui ne cesse de se présenter comme proche de DSK, ou est-ce le contenu édulcoré des scènes décrites au fil des pages. En voici un exemple : « Elle m’a fixé droit dans les yeux, puis elle a regardé ostensiblement mon sexe, décrit l’ancien argentier de France, qui dit avoir lu à travers ce regard une proposition qui débouchera sur une relation (sexuelle) précipitée »

Mais Dominique Strauss-Kahn n’est pas seul à prendre de la distance avec Michel Taubmann, le second journaliste qui enquête sur l’affaire du Sofitel a encore une autre version. Le new-yorkais Edward Epstein évoque lui… la théorie du complot. De nouveaux épisodes dans l’affaire qui relance la course aux  gros titres sur l’ex-directeur du FMI. Après « La vie cachée de DSK », dans le Nouvel Obs, « L’effarante double vie de DSK », ou encore « Est-il malade ? » pour VSD, « Sa vérité » dans Paris Match qui envahit les boutiques Relay et autres kiosques, c’est au tour de la théorie du complot de faire son chemin. De quoi alimenter le débat. Nouveaux experts auto-bombardés de la vie privée Strauss-Kahnienne, les journalistes n’en ratent pas une miette… Avec cette question sur toutes les lèvres : en font-ils trop ?

La délicate limite entre vie publique et vie privée

A Limoges, la femme de Michel Taubmann, qui est aussi pasteur explique « combien ses fidèles ont été choqués par la violence de la presse et nombreux sont ceux qui prient pour lui. » Et rajoute : « Qui d’entre nous n’a jamais péché ? » Les médias après l’avoir protégé- aucun n’a laissé filtré avant le 14 mai quoique ce soit sur ses tendances libidineuses- désormais semblent aller à la curée. Certains parlent de déchaînement, d’autres d’acharnement. On peut même lire dans Marianne, pourtant du genre corrosif,  que la presse « a allègrement franchi la limite entre vie publique et vie privée ». L’hebdo crée par Jean François Kahn, grand ami du couple Sinclair et Strauss Kahn, dénonce même une communication obscène : « progressivement, c’est la moralité publique d’un homme public qui semble le moins intéresser les journalistes (…) Alors que savoir si l’ex-postulant a baisé en levrette ou non au-dessus du lavabo d’une boîte échangiste, ça c’est de l’info, coco. Ce qui est curieux, c’est que le propos de ces unes se trouve dans leurs titres mêmes. « Double vie » ? « Vie cachée » ? Mais bon sang, c’est bien sûr ! Cela ne s’appellerait pas la vie privée, par hasard ? » ironise Joseph Macé-Scaron, pas blanc blanc avec ses plagiats non plus.

Philippe Bourbeillon, rédacteur en chef de VSD est d’un autre avis- forcément. En guise d’illustration, il tend une couverture avec un DSK majestueux, datant de février dernier, où l’on peut lire « DSK, objectif Elysée » puis une autre, à peine trois mois plus tard. Le ton a changé : la fameuse photo de DSK menotté fait la couverture : « DSK, le cauchemar américain ». « C’est la chute d’un homme présidentiable, et porteur d’espoir. On parle d’un acteur de la vie publique depuis vingt ans. Certes, on ne parle plus du directeur du FMI, ni du candidat, mais pourquoi ? Justement à cause de l’affaire du Sofitel, puis de l’affaire Banon. » Une information publique et légitime donc.

Voyeurisme?

Mais qu’en est-il de l’affaire du Carlton ? A quoi s’intéressent les journaux ? A une enquête judiciaire, à une information que les Français ont le droit de connaître ? Ou bien « l’avalanche d’articles de presse s’exonère-t-elle de tout objectif d’information légitime au public? » comme s’en plaignent les avocats de DSK. Pour Yves Derai, directeur des Editions du Moment – qui publient « Affaire DSK, la contre enquête »,  « même  DSK a droit à une vie privée. Les titres sur sa fille, sa femme, ou encore  sur comment il saute une fille dans les toilettes, tout ça c’est du voyeurisme. Le prétexte de l’affaire judiciaire n’est pas valable car le dossier est en cours, et rien ne dit que DSK est impliqué. On parle en outre de proxénitisme, or dans le livre de Taubmann, Strauss-Kahn dit ne pas avoir eu connaissance des défraiements des prostituées… Puis même si c’était le cas, je ne crois pas que les clients des prostitués encourent des risques pénaux ! ». A cela Philippe Bourbeillon rétorque« Je me méfie des journalistes qui trient l’information en se disant, je vais révéler tel fait, mais pas tel autre… Tant qu’il n’y a pas de détournement d’information comme ce fut le cas pour News of the World, nous faisons notre travail. Ce ne sont quand même pas les journalistes qui ont inventé Nafissatou Dialo, Tristane Banon, puis les prostituées », poursuit-il. Le contenu de l’information lui-même est obcène, non le fait de la relayer.

Vie privée mais impact public

Texto, positions sexuelles préférées… peut-on alors tout mentionner? Eric Pelletier, journaliste à l’Express et auteur de l’ « Effarante  double vie de DSK » va  plus loin dans son analyse. « Dans l’enquête DSK, nous évoquons des éléments de vie privée figurant dans un dossier judiciaire dans la mesure où ils ont un impact sur la vie publique. Nous n’avons d’ailleurs cité aucun autre nom de client de prostituées. Dans cette affaire on ne parle pas de l’homme Dominique Strauss-Kahn, ni de ses préférences sexuelles, mais de l’inconséquence du personnage public. Il ne faut pas oublier que l’enquête a débuté en février dernier, bien avant que ne surgisse l’affaire de New York. Dès lors que des sociétés privées -Eiffage aurait payé les « parties fines » par l’intermédiaire de David Roquet et Fabrice Paszkowski- que des policiers, des chefs d’entreprises sont impliqués, nous nous interrogeons sur le système mis en place pour satisfaire Dominique Strauss-Kahn et sur les éventuelles contreparties. Quelles étaient les motivations de ses « amis » à organiser des parties fines pour le directeur général du FMI et favori des sondages à l’élection présidentielle française ? Espéraient-ils en tirer un bénéfice en cas de victoire de DSK?»

Un avis que partage Caroline Mangez, rédactrice en chef de la rubrique actualités pour Paris Match. Si le magazine n’a pas reproduit les textos, mais les a seulement évoqués, sans les citer, toutes les informations qui y ont été révélées sont d’après elle légitimes. « L’affaire DSK relèverait du registre purement privé si des sociétés comme Eiffage, des policiers ou autres personnes d’influence, n’étaient pas impliqués… Il y a quand même un sac de noeuds dans cette affaire, des collusions voire de la corruption à éclaircir. N’oublions pas que tous ces faits se sont déroulés alors que DSK était encore directeur du FMI et possible candidat à la présidentielle. Nous ne nous attaquons pas à un homme, mais à deux affaires importantes ». D’ailleurs Paris Match n’a pas hésité à sortir en premier la vérité de DSK. « Nous avons considéré normal de laisser place à la version de DSK révélée par Taubman. »

Une motivation mercantile ?

Pourtant dans toutes les enquêtes publiées, les titres n’allument pas les phares sur l’affaire de proxénétisme, ni du recel de biens sociaux. En gros titre, c’est clairement DSK qui est visé. « On fait ça aussi pour vendre du papier », avoue Philippe Bourbeillon. Arrêtons de nous mentir, ce ne sont pas les trains qui arrivent en retard qui intéressent ». Oui, car l’affaire DSK suscite l’intérêt sans essoufflement depuis qu’elle a commencé. Parfait scénario, bien ficelé, inattendu, des acteurs charismatiques, et surtout une suite  de rebondissements qu’on aurait eu du mal à imaginer… Les Français ont beau se plaindre en public, en privé, ils se délecteraient de l’affaire… « + 55% pour Le Monde [édition papier] » ; « un record pour Le monde.fr  » ; « un pic historique de visites pour Ouest France  » ; « une hausse des ventes de 113 % […] pour Libération » peut-on lire dans un papier de Ouest France.

DSK n’en a pas fini de captiver, de faire parler, entre railleries et dégoût. N’était-il pas  le postulant à la présidentielle préféré des français? Sans compter qu’il avait sans le dire, déjà débuté sa campagne, avec un tee-shirt « yes, you kahn » comme le montrait dans le documentaire « Un an avec DSK » diffusé en mars sur Canal+, puis en se rendant sur les plateaux de France Télévisions, suite aux sondages qui le donnait gagnant, à tous les coups. Aujourd’hui « Cocu politiquement », les Français n’en reviennent toujours pas. quant à l’intéressé, il se dit désormais « malade » et songerait d’après les dernières rumeurs, à se retirer en Israël. Histoire de se mettre au vert et se débarrasser de tout ce rose pour quelque temps…

Par Emilie Tran Nguyen

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