16 février 2012
Don Pasquale en pigeon

La fausse vraie nouvelle de l’annonce de la candidature de Nicolas Sarkozy en direct sur TF1, le public du Théâtre des Champs Élysée n’en avait cure mercredi soir, il n’avait d’yeux et d’oreilles que pour les interprètes de Don Pasquale, l’opéra-bouffe de Gaetano Donizetti, dans une virevoltante mise en scène de Denis Podalydès. Se rendait-il compte, ce public cossu, qu’il était plus proche de l’âge du vieux barbon dont se rit le livret de Giovanni Ruffini, que du bel Ernesto et de la trépidante Norina qui finiront par convoler en juste noce, après que le diabolique Malatesta ait piégé le vieil homme ?
En fait, il s’en moquait. Il a été saisi d’entrée de jeu en découvrant la surprise que lui avaient réservé Podalydès, mais aussi Christian Lacroix qui a conçu les costumes et Éric Ruf à qui l’on doit les décors. C’est en fourgonnette de forain de l’Italie des années 1950 que se présente Don Pasquale, sous des faux airs de Fellini, en costume gris et feutre mou. D’ailleurs, pour un peu on s’attendrait à voir passer Zampano et Gelsomina, et le solo de trompette du début du deuxième acte, suivi du monologue du malheureux Ernesto chassé par son oncle fait furieusement penser à La Strada (1954).

Comedia dell’arte

Mais on est plutôt dans le rire amer de Mario Monicelli lorsqu’il tournait Le Pigeon (1958) : la commedia dell’arte affleure et la musique de Donizetti tire tous les personnages – à l’exception de celui d’Ernesto, romantique –, vers la farce acide, dépassant l’intrigue somme toute classique du vieillard « pigeonné » par la jeunesse qu’il comptait tenir sous sa férule.
Parlant de sa mise en scène quelques jours avant la première, Podalydès expliquait qu’il avait été ravi de découvrir chez les interprètes des talents d’acteurs et une fraîcheur de jeu qu’il ne trouvait pas toujours du côté des comédiens de théâtre. Réel hommage ou marque de modestie de la part du metteur en scène dont la vision de l’œuvre a ravi la salle – les rires et applaudissements fusent souvent – tout en la surprenant ? De fait, Alessandro Corbelli (Don Pasquale)manie le burlesque avec brio, Gabriele Viviani donne à Malatesta un accent proprement satanique que Podalydès ne craint pas de confirmer en l’affublant de cornes rouges, en guise de clin d’œil pour nous rappeler qu’on est ici pour rire sans verser dans la métaphysique. Désirée Rancatore régale le public tant par sa virtuosité que par la densité narquoise et cruelle de son jeu – quand le rideau tombe on se dit que l’amoureux de la belle Norina n’aura pas la vie facile avec une pareille mégère. Avec ces trois-là, la farce tragicomique bat son plein. Quant à Francesco Demuro (Ernesto), le ténor sarde, il réussit le tour de force d’assumer le décalage romantique qui permet à l’opéra de s’arracher à la comédie facile. Dès lors, tout est en place pour que la face tragique de Pasquale éclate, au dernier acte, avec la gifle retentissante que lui inflige Norina. C’est un homme qui se brise, prenant brusquement la mesure de son âge et de la mort qui n’est plus loin… On a soudain envie d’aimer cet homme risible, qui révèle alors toute sa fragilité.

Comique pathétique

Tout cela est joliment mené. Sans doute le terrain avait-il été dégagé par le travail de nettoyage de la partition accompli par Enrique Mazzola. Le chef d’orchestre italien est revenu au manuscrit de Donizetti pour restaurer des passages coupés, épurer ce que la tradition des interprétations avait surajouté, et retrouver ainsi quelque chose de l’intention première de Donizetti dont on dit qu’il aurait composé Don Pasquale en onze jours. Manifestement, entre le désir de Mazzola de redonner à l’œuvre son « italianité » et celui de Podalydès de « prendre le comique au sérieux » pour en déployer le pathétique, l’accord n’a pas été difficile à trouver.
On regrettera que dans cette aventure, les musiciens traînent la patte… L’Orchestre national de France est apparu sans personnalité, fade, pour ne pas dire confus ou absent… Dans la fosse, pensait-on, ce soir-là, à autre chose ? À ce que le candidat président allait sortir de son chapeau à la même heure et aux réactions qui suivraient ? Le public, bon prince, a préféré ne retenir que le talent des chanteurs et la verve de la mise en scène en ne ménageant pas ses applaudissements, avant de sortir guilleret. La politique et ses propres cruautés, il serait bien temps de les retrouver plus tard… Et on pourra même prolonger le plaisir en retrouvant Don Pasquale sur Arte vendredi soir 17 février, à 22 h 10.

 

 

Par Jean-François Bouthors

Au Théâtre des Champs Elysées-20 h30 jusqu’au 19 février

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