14 mars 2019
Docteur Frankestein à La Monnaie de Bruxelles

 

C’était un projet d’assez longue date. En 2011, Alex Ollé avait soumis à Peter de Caluwe, le directeur du Théâtre de la Monnaie, l’idée d’une création sur le mythe de Frankenstein, à partir du roman de science-fiction de Mary Shelley, auquel, pour d’aucuns, les folies techniques et technologiques, donnent un écho contemporain. La genèse du projet a duré huit ans, en partie à cause des travaux de rénovation. Car, au-delà de la partition commandée à Mark Grey, le projet d’un des fondateurs de la Fura dels Baus ne pouvait se contenter de conditions techniques parfois réduites dans les différentes scènes temporaires. Autant dire que l’attente était grande.
Dessiné par Alfons Flores, le décor, sur le fronton duquel on peut deviner, en russe, le nom de Sibérie, plonge dans une désert glacé provoqué par une catastrophe climatique, où une expédition scientifique ranime une forme humaine congelée, créée mille ans plus tôt, en 1816, par le docteur Frankenstein – double de la romancière anglaise qui a imaginé son personnage en cette même année sans été. Pour spectaculaire qu’elle soit, l’ambiance clinique et futuriste que soulignent également les costumes dessinées par Lluc Castells et les néons de Urs Schönebaum ne joue finalement qu’un rôle d’arrière-plan pour la compréhension du drame. Les vérins qui font descendre et remonter le plateau, le maquillage de la créature pour lui donner une allure monstrueuse, ou encore les projections vidéos de Franc Aleu donnent à l’ensemble une dimension presque cinématographique.

Un opéra aux confins du polar et du thriller

La partition de Mark Grey n’est pas étrangère à cette impression. Efficace, elle s’attache d’abord à soutenir la narration, plutôt que de se soumettre à des diktats avant-gardistes. On y reconnaît un pragmatisme que d’aucuns diraient anglo-saxon, se déployant dans des couleurs orchestrales nourries qui évoquent des atmosphères parfois aux confins du polar et du thriller, au diapason du livret, et que la direction de Bassem Akiki met en valeur.
Quant à la distribution, on a fait appel à un plateau solide, attentif au lyrisme d’une écriture vocale ne sacrifiant jamais l’intelligence dramatique. Dans le rôle de la Créature, Topi Lehtipuu fait vibrer une authentique sensibilité meurtrie sous le masque de la laideur et du crime. Il remporte de justes et chaleureux suffrages aux applaudissements. La rudesse de Scott Hendricks n’ignore pas la complexité du personnage de Frankenstein. Eleonore Marguerre incarne les tourments d’Elizabeth, quand Andrew Schroeder impose sa carrure en Walton. Christopher Gillett fait retentir les notes haut-perchés du ténor de caractère auquel est confié Henry. Mentionnons encore les interventions de l’aveugle et du père par Stephan Loges, celles de Justine, dévolues à Hendrickje van Kerckhove, les accusations du procureur, portées par William Dazeley, ainsi que la présence des choeurs, préparés par Martino Faggiani. Conçu comme un miroir des problèmes qui se poseront à un avenir de l’humanité en partie déjà présent, Frankenstein constitue d’abord un exemple de la capacité de l’opéra contemporain à raconter des histoires qui peuvent tenir en haleine le public.

Par Gilles Charlassier

Frankenstein, Grey, Théâtre de la Monnaie, Bruxelles, mars 2019

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