30 juillet 2012
Des notes et des cigales

Chaque été depuis trente-deux ans, La Roque d’Anthéron célèbre le piano en plein air pendant un mois.
Sous le murmure du bruissement des  feuilles des platanes du parc du Château de Florans, les artistes et les mélomanes se retrouvent avec une simplicité et une convivialité que les grandes salles de concerts, parisiennes entre autres, n’offrent pas toujours. Cela accompagnés invariablement des cigales qui, en toute liberté rompent le silence habituel des concerts tandis que le rituel invariable des bis met à l’épreuve la sagacité de chacun – avant les résultats sur le tableau blanc à la sortie – et de dédicace à la fin du concert.  Ainsi, les interprètes démontrent ici, aux confins du Vaucluse, une générosité que Brigitte Engerer, grande fidèle des lieux disparue le 23 juin dernier, incarnait remarquablement, et que le public lui rendait par l’attachement qu’il lui a voué tout au long de sa carrière tout comme ses élèves, amis ou partenaires proches – Varduhi Yeritsyan, Selim Mazari parmi les plus jeunes, Henri Demarquette, Boris Berezovsky, Gérard Caussé pour les plus expérimentés – ,  qui lui rendent hommage dans cette édition qui lui est, en partie, dédiée.

Généreux Arcadi Volodos

La générosité, Arcadi Volodos semble l’avoir dans les veines, récompensant l’auditoire de sept bis, avec pas moins de quatre pièces de Federico Mompou, compositeur catalan mort il y a vint-cinq ans à quatre-vingt-quatorze ans, que le pianiste russe défend avec ferveur et avec lequel il referme son récital. Le dépouillement des quatre cahiers de Música callada, dont on entend ce soir dix extraits choisis avec un soin narratif aussi émouvant que captivant, rappelle Debussy par sa concision évocatrice, dans un séduisant flottement entre modal et atonal,  ou encore, par sa noblesse, Chopin, comme dans le très beau Lento du Deuxième Cahier.
La soirée de ce dimanche 22 juillet avait commencé sous le signe de Schubert. La Sonate n°2 en ut majeur est une œuvre de jeunesse qui se souvient de Haydn et Mozart, mais où l’on trouve déjà une inventivité mélodique originale, reconnaissable à son mélange de tendresse et de vigueur parfaitement sensibles sous les doigts d’Arcadi Volodos. Sa vision de la Seizième Sonate, en la mineur, se révèle aussi surprenante que la partition. Dès l’Allegro giusto initial, les ruptures de phrasé de cette sombre ballade nous transporte loin de la fluidité tonale, un peu comme le finale de la Deuxième Sonate de Chopin. L’allule cahoteuse de la musique traduit les mouvements d’une âme tourmentée. C’est un regard neuf que l’on porte sur Schubert après cette interprétation inhabituellement rude – et moderne oserait-on dire, tant on y pressent le Liszt de la maturité – mais jamais heurtée, grâce à un main de velours, idéale pour les Trois intermezzi opus 117 de Brahms, célèbre incarnation de l’inspiration automnale de la fin de la vie du compositeur allemand, donnés juste après l’entracte.

Roger Muraro au millimètre près

Avec Roger Muraro deux jours plus tard, c’est une toute autre personnalité qui se présente. Programme et toucher millimétrés, où la spontanéité d’un bis ou d’un applaudissement entre les pièces n’a pas sa place. Il faut reconnaître au parcours proposé par le pianiste français une belle cohérence qu’il saurait regrettable d’altérer. Le voyage commence avec deux pièces de la Première Année de Pélerinage de Liszt : la Chapelle de Guillaume Tell, dont l’héroïsme contraste avec la fraîcheur cristalline d’Au bord d’une source. Puis vient Messaien, le cheval de bataille de Roger Muraro. De son Catalogue d’Oiseaux, il en extrait l’Alouette Lulu, attachante description ornithologique qui se referme sur le silence nocturne de la forêt. C’est tout naturellement alors que résonnent les Scènes de la forêt de Robert Schumann, condensé du génie du compositeur allemand à raconter une histoire avec des paysages sonores, délicatement mis en perpective par le pianiste français. Mais le plus spectaculaire est bien la transcription que Liszt a réalisé de la Symphonie fantastique. Avec son piano très symphonique, le virtuose hongrois a réussi la prouesse d’évoquer le vaste orchestre de Berlioz avec dix doigts. Le geste calibré de Muraro maîtrise à la perfection l’accroissement de la tension dramatique qui explose dans un étourdissant Songe d’une nuit de Sabbat.

Evoquons enfin le récital que Yoann Moulin donnait l’après-midi en l’abbaye de Silvacane – Byrd et Bach – écourté par un malaise du claveciniste, heureusement plus impressionnant que sérieux. On espère réentendre bientôt ce musicien délicat que les ensembles baroques s’arrachent.

Par Gilles Charlassier

Festival de La Roque-d’Anthéron, du 21 juillet au 22 août 2012

Articles similaires