28 novembre 2017
Création à La Scala sous le signe du pastiche

Figure majeure du monde lyrique contemporain, Salvatore Sciarrino fête cette année son soixante-dixième anniversaire. Il n’est donc guère surprenant que la première maison d’opéra d’Italie, La Scala de Milan, ait voulu marquer l’événement et lui passer une nouvelle commande, Ti vedo, ti senti, mi perdo. Pour autant, il est vraisemblable que la proximité avec l’ouverture de la nouvelle saison, Andrea Chénier dirigé par Riccardo Chailly, soit davantage la cause du piratage de la billetterie de La Scala, que la notoriété du compositeur sicilien. Il n’en reste pas moins que l’embouteillage engendré par la foule de spectateurs contraints à retirer leur billet au comptoir du soir a compromis la ponctualité de plus d’un mélomane, alors que les circonstances n’ont suscité aucune indulgence dans la rigueur de l’horaire.

Un temps suspendu

Ecrit par Sciarrino lui-même, le livret invite dans un salon poudré de la Rome du dix-huitième siècle, où l’on attend Stradella pour livrer un nouvel air à sa dernière cantate, que l’on est en train de répéter. On retrouve le même jeu de l’opéra dans l’opéra, que dans le Capriccio de Richard Strauss, avec son regard sur les coulisses de la création – avec ici un accent sur les bavardages mondains et un texte parfois prolixe. Et à la différence du réalisme théâtral de la soirée chez la comtesse Madeleine straussienne, l’attente se distend jusqu’à la rumeur de la mort de Stradella, lequel mène une vie sulfureuse. On retrouve d’ailleurs les ingrédients de la manière de Sciarrino, dans une suspension du temps à laquelle répond une économie musicale aux confins du souffle et de la déclamation, ne préservant de chant lyrique que quelques numéros presque pastiches, tels l’Intermezzo avant l’entracte, ou l’air final de la Cantatrice.
Ce jeu avec l’imitation baroque se retrouve dans la mise en scène de Jürgen Flimm, d’une élégance un peu minimaliste, sinon aseptisée, avec perruques et costumes conçus par Ursula Colombo sur un fond mi-clinique, mi-onirique, dessiné par George Tsypin, pour un résultat sans doute un rien lisse. Côté solistes, on retiendra d’abord la Cantatrice de Laura Aikin, qui se glisse avec gourmandise dans une partie vocale sur pointes, tandis que Charles Workman et Otto Katzameier se plaisent à restituer les débats qui agitent le Musicien et le Dramaturge. Le reste de la cour ne demeure pas sans saveur, quand on saluera également la direction précision de Maxime Pascal, une des meilleurs talents de la nouvelle génération, reconnu dans la création contemporaine et qui fait là ses débuts à La Scala.

Par Gilles Charlassier

Ti vedo, ti senti, mi perdo, Sciarrino, Teatro alla Scala, Milan, novembre 2017

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