18 janvier 2012
Compositeur d’images

Entendre William Karel parler, c’est un peu comme regarder un chat marcher. Chaque mot est pesé, prononcé sur un même rythme tranquille, avec un grand soin -de quoi cacher son jeu. Car, sitôt derrière un banc de montage, voilà un homme qui devient redoutable- revoir « Le monde selon Bush »- d’une efficacité implacable comme lorsqu’un félin est en train de chasser. Nulle perversité, juste un objectif clair: l’emporter; que l’on soit acquis au final à sa cause, tout en douceur – il n’utilise pas de commentaires- comme seuls les meilleurs documentaristes y parviennent- Sa force? Organiser les images comme des notes de musique pour, à l’arrivée, signer une partition à l’équilibre parfait comme dans ce Looking for Sarkozy, diffusé sur Arte et disponible en DVD ( voir rubrique 9,99).

Comment vous est venu l’idée de ce documentaire?

C’est Arte qui me l’a demandé. On était en train de lancer le DVD sur Margaret Thatcher que l’on a réalisé ensemble  et puis on s’est dit que ce serait bien de faire un film sur Nicolas Sarkozy. Entre-temps toute l’équipe a changé, alors la nouvelle equipe était très inquiète. C’est en effet une première: faire un documentaire sur un président encore en exercice. Au final, on a réalisé la meilleure audience de l’année sur Arte pour un documentaire. En tous cas, moi j’en avais vraiment envie; je l’aurais fait gratuitement!

Pourquoi avoir été chercher les média étrangers ?

Parce ce qu’en lisant leurs articles dans Courrier International, j’avais l’impression qu’ils avaient un ton différent, ils ne sont pas très tendres avec leurs confrères français d’ailleurs. Dans les média français, j’ aurais trouvé un, deux, trois interlocuteurs mais pas plus, dans la presse télévisée par exemple, les gens n’auraient pas  parlé je crois. Alors que là, j’avais l’embarras du choix ; au départ, je voulais même en prendre une quarantaine, mais ils auraient été à l’antenne deux minutes, donc on a dû se limiter; mais il y a des manques énormes, il n’ y a pas de japonais ni de journalistes d’Amérique latine ou d’Europe du Nord.

Ils ont tous accepté?

Oui, ils étaient tous très contents. Ce qu’il ont aimé le plus c’était de raconter le mépris avec lequel ils sont traités, toujours mis au dernier rang dans les conférences de presse, avec aucune possibilité de poser des questions. les liens de l’Elysée avec TF1 et France TV, c’est aussi vraiment incroyable pour eux; mais le plus frappant reste de pouvoir être appelé le lendemain d’un article qui n’a pas plû, appel qui ne vient pas toujours de l’Elysée d’ailleurs.

Y-a-t’il du coup un risque d’autocensure chez les journalistes comme s’amusait d’ailleurs à le souligner pour les journalistes français Nicolas Sarkozy lui-même?

Non, vous avez vu qu’ils gardent une parole très libre. Mais Arte a été noyée sous les lettres de sympathisants de l’UMP disant que Arte devrait s’appeller Arte PS ou avec des messages genre « on espère que, lorsqu’il sera réélu, il saura s’occuper de cette chaine… ». Mais il y avait heureusement d’autres lettres.

Auriez-vous eu les mêmes témoignages sous la présidence de Chirac, sachant que l’interview politique a toujours été un exercice très encadré en France?

Non, tous sont d’accord pour dire que cela s’est aggravé. la plupart n’ont pas digéré de ne plus pouvoir filmer dans les voyages officiels ou sur le défilé du 14 juillet; maintenant c’est livré filmé, monté, terminé, comme avec l’ entretien avec Obama lors du G20.

Est ce que votre documentaire a été difficile à faire?

Non , ça a été un jeu d’enfant , on a posé à tous les mêmes questions, par exemple sur le discours de Dakar, de Rome ou de Grenoble. Et refusé d’utiliser toute critique en images. Il n’est pas à son avantage dans ce qu’il dit mais on ne parle jamais de ses tics.Toutes les images que l’on a retrouvées comme celles de Femme actuelle et pendant le G8 à Deauville, c’était dans les archives. Et, on les a eues sans problème.

Comment les avez vous eues si facilement?

Parce qu’il ne prenne pas Arte au sérieux. Aux Etats-Unis où je pars faire un film sur Obama pour France 2 à la fin du mois, on obtient aussi des choses très facilement car ils prennent les français pour pas grand chose- ce qui aide.

Comment êtes-vous venu au documentaire?

J’ai été photographe pendant dix ans- cinq ans reporter et cinq ans en plateau, notamment avec Pialat . Michael Moore? J’aime bien ce qu’il fait. J’ai d’ailleurs dit en plaisantant que Michael Moore en avait marre d’être appelé le William Karel américain ! Sur vingt documentaires que j’ai faits,  je n’ai d’ailleurs pratiquement fait que des hommes politiques.

Marine Le Pen, ça vous intéresserait?

J’ai fait son père. C’est un peu tôt pour elle. Je n’aime pas suivre une élection, je préfère faire cela de façon détournée comme pour Obama que l’on va traiter à travers ses conseillérs. Comment il n’a pas pu tenir ses promesses tout comme Sarkosy.

Quel est l’événement qui a le plus marqué ces journalistes étrangers du quinquennat de Sarkozy?

L’affaire avec son fils, cette idée de monarchie constitutionnelle. Et celui qui fait le plus tàche, c’est avec Carla Bruni lorsque le fils de celle-ci se voile les yeux à Pétra.

Comment voyez-vous les futures élections?

Je me trompe toujours . Pour Bush, j’avais dit qu’il ne serait jamais réélu, alors vous voyez…D’autant que, comme tous les correspondants étrangers le disent, Nicolas Sarkozy est redoutable en campagne…

 

Le voilà qui me demande alors si je vais suivre les élections de près et pose des questions sur le site, « C’est tous les mois? »… Petite leçon alors sur mon Ipad, le voilà maintenant qui m’interviewe…avec délicatesse et attention. Puis, il m’apprend qu’un documentaire, c’est environ huit mois de travail, comme celui qu’il a fait sur Gallimard ou Philippe Roth, écrivain américain- un vrai massacre car, il ne reste presque rien des vingt heures d’entretien. La télévision, c’est redoutable pour cela, conclut-il.

Voilà pourquoi sans doute, William Karel va à nouveau vers la fiction -il en avait fait une sur le 21 avril 2002- en reconstituant cette fois-ci le fameux dîner en ville entre Mitterrand et Chirac qui scella leur entente afin que Valéry Giscard D’Estaing ne soit pas réélu. Du bel ouvrage en perspective…

 

 

 

Par Laetitia Monsacré

 

Articles similaires