9 mars 2023
Clara Haskil, une vie entre l’ombre et la lumière

Contemporaine d’Arthur Rubinstein et Vladimir Horowitz, qu’elle rencontra ainsi que Stravinsky et Poulenc, chez « tante Winnie », la princesse de Polignac, Clara Haskil malgré sa virtuosité est restée une pianiste quasi inconnue du grand public. Voilà grâce à Sege Kribus, auteur de la pièce Clara Haskil, Prélude et fugue, la comedienne Laetitia Casta et la pianiste turco-belge, Isil Bengi qui est réparé; à l’image d’une autre Clara, Vicq épouse Schumann, dont l’histoire a oublié le talent de pianiste et compositrice pour ne se souvenir que de son mari. C’est d’ailleurs avec les Scènes d’enfant de ce dernier que le piano et la musique font leur entrée sur la scène du Rond Point ce mercredi 8 mars, Journée des droits de la femme. « On se trouve là devant une énigme : cette maturité d’un cerveau d’enfant est véritablement angoissante. » Vous n’entendrez pas cette phrase prononcée à Vienne par le célèbre pianiste Anton Door, lorsqu’il entendit cette petite fille, née dans une famille juive roumaine, qui avait commencé à jouer « à l’oreille » dès ses trois ans, ni celle de Gabriel Fauré, directeur du Conservatoire de Paris qui, en l’écoutant jouer, eu ces mots : « Je ne savais pas qu’il y avait autant de musique dans ce que j’avais écrit ! ». Voilà qui est dommage car, outre la performance sur scène des deux interprètes -Laetitia Casta jouant tantôt la mère, les oncles, les professeurs de Clara Haskil et Isil Bengui l’accompagnant au piano, notamment dans la merveilleuse berceuse de Dvorak, Songs my mother taught me, à écouter ici dans une version orchestre et voix de soprano (sans lire les sous-titres-sic), on sort sur sa faim quant à comprendre qui était vraiment cette femme.

« Envoyée sur terre pour jouer Mozart »

Bien sûr, le texte laisse pressentir que Clara Haskil était une virtuose, une écorchée vive- notamment après des mois plâtrée pour guérir d’une scoliose et qui manquait totalement de confiance en son jeu, par ailleurs ne parvenant pas à gagner sa vie, ne serait-ce pour « s’acheter une paire de gants »; mais il manque plusieurs moments clés de sa vie pour la cerner, comme lorsqu’elle refusa l’aide de la maison Gaveau qui lui proposait de prendre en charge toute sa carrière à l’unique condition qu’elle ne joue que sur les pianos de la marque. Refusant toute compromission et n’aimant pas leurs pianos, elle refusa net; son aisance à jouer le Concerto numéro 2 de Rachmaninov, exigeant une virtuosité, technique et endurance hors norme n’est pas non plus abordé, pas plus que ne sont cités les mots de ce critique new-yorkais: « Entendre Mlle Haskil interpréter Schumann, Chopin, Ravel, c’est toucher de près à la révélation de la nature de ces hommes, des motifs qui les ont fait écrire – et qui les ont fait écrire comme ils l’ont fait. Ce n’est plus un simple concert, c’est plutôt une communion intime avec le génie. ». Tout cela aurait donné une dimension bien plus »hors norme » et rendu un hommage bien plus édifiant à cette pianiste qui, atteinte d’une tumeur de hypophyse, fut opérée en 1942- neuf heures sous anesthésie locale pendant lesquelles, afin de vérifier que rien de son cerveau n’était touché,  joua sur la table d’opération le Concerto Jeune homme de Mozart, son « concerto » comme elle le nommait. « Clara Haskil a été envoyée sur terre pour jouer Mozart «  titra même un journal viennois, alors que Clara ne cessait de douter de son talent. Là encore, aucune mention n’est faite à la reconnaissance absolue qu’elle reçut en 1956, choisie par l’Orchestre Philharmonia de Londres (un des plus enregistrés au monde) et le célébrissime chef d’orchestre, Herbert von Karajan, pour une tournée européenne en hommage à Mozart, ni ne sont évoquées ses séances d’enregistrement où, fait rarissime, elle n’avait souvent besoin que d’une seule prise. Enfin, pourquoi ne pas avoir, dans la mise en scène signée Safy Nebbou, joué sur le contraste extraordinaire entre son apparition sur scène, s’avançant à pas lents jusqu’au piano, impressionnante de fragilité, paraissant très vieille et bossue du fait de l’aggravation de sa scoliose, et, une fois ses doigts courant sur le piano, la femme extra-ordinaire qu’elle devenait- à la différence de son compatriote, le pianiste roumain, Radu Lupu qui semblait, déjà et encore au piano, lorsqu’il entrait et sortait de scène. La pièce y aurait gagné en lisibilité et puissance que le jeu de Laetitia Casta, tout en sensibilité, aurait sans doute servi comme il se doit.

Par Laetitia Monsacré (et Wikipédia)

Clara Haskil, Prélude et fugue, au Théâtre du Rond Point jusqu’au 26 mars 2023, 20h30

 

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