10 novembre 2012
Chacun cherche son prix

« Si l’on songe à quel point, peu importent les circonstances, un seul poète ou écrivain est déjà ridicule et difficilement supportable à la communauté des hommes, on voit bien combien plus ridicule et intolérable encore est un troupeau entier d’écrivains et de poètes, sans compter ceux qui sont persuadés d’en être, entassés en un seul endroit !» Thomas Bernhard ne fut point tendre pour les prix littéraires; ceux-ci continuent néanmoins d’attiser les convoitises avec traditionnellement trois actes : le Femina, le Médicis et le Goncourt /Renaudot… A cela se greffent le prix décembre, le prix de Flore et l’Interallié qui sera remis mardi prochain. Et entre les deux, la foire de Brive avec le train « cholesterol » qui emmène ce vendredi tous les écrivains ripailler en Corrèze. Bref, carnet de bal garni pour les amateurs de littérature et de cocktails sachant que la remise du prix en inclut un premier, sauf au Crillon lundi- de vrais rats- suivi de celui de la maison d’édition récompensée. Au total, avec les prix pour les romans étrangers, les essais, vous pouvez passer la semaine à vous nourrir et boire exclusivement grâce aux livres-à défaut de les lire. Ainsi  Jérôme Ferrari s’amusait-il mercredi soir dans les jardins d’Actes Sud qui fêtait son « Goncourt », de la pauvreté des questions de tous ces journalistes n’ayant pas ouvert son livre. « Alors vous êtes content? ». Combien de fois lui faudra-t’il répondre, tel un pauvre disque rayé, si loin de ses élèves de terminale auxquels il enseigne la philosophie à Abu Dhabi. « Non, d’ailleurs je vais porter plainte » commente Patrick Rambaud, juré du Goncourt sorti  sur le trottoir de Drouant, encore effaré de « ces 250 types qui prennent tous la même photo ».

Citons encore Thomas Bernhard qui consacra à l’exercice tout un livre, Mes prix littéraires: « Ce que quelques imbéciles s’étaient peut-être vraiment figuré comme un honneur, plus j’y réfléchissais, plus je le ressentais comme une infamie…» Dès le prix décerné, sans pitié, vous êtes ainsi jaugé à l’aune de ce qu’est un « bon client » en langage médiatique. Et tant pis si l’ écrivain, du moins le bon, celui qui a à dire quelque chose, est par essence peu à l’aise avec le » little talk ». Les micros se tendent, tout le monde veut vous parler, vous interroger avec cette idée de savoir ce que vous avez dans le « ventre ». Et que vous leur offriez le slogan de votre livre que l’on vous oblige à montrer comme un paquet de lessive.

Ambiance intime ou cirque médiatique

Lundi, c’était donc Patrick Deville- de toutes les listes- qui posait toute en présence absente, son livre à la main et  son beau regard de chien battu dans le salon du Crillon où ses dames du Femina tentaient de finir leur café (voir article); mardi,  Emmanuelle Pireyre, lauréate inattendue du Médicis pour sa Féerie générale aux éditions de l’Olivier apprenait dans l’escalier du beau restaurant de la Méditerranée- champagne et sushis au programme- à poser pour un portrait de famille « très mécheux » sur la bonne marche en compagnie de l’auteur israëlien A.B.Yehoshua- Médicis étranger pour Rétrospective chez Grasset. Deux auteurs qui durent répondre ensuite aux questions existentielles du Petit Journal de Canal Plus-« La vie est un roman? « puis « Y a- t’il du sexe dans votre livre? ». Un des jurés regardait tout cela d’un regard las, annonçant son futur départ de ces prix où de plus en plus arrivaient « quasiment en ambulance vu leur grand âge ». Reste que le lieu, Cocteau à la décoration et le prix aux retombées encore modestes -40 000 exemplaires environ contre dix fois plus pour le Goncourt- offrait un de ces moments rares où l’on se retrouve comme entre amis dans le joli salon du premier étage donnant sur le théâtre de l’Odéon, à converser avec Christine de Rivoire, râlant car on lui avait servi trois boules de sorbet alors qu’elle n’en voulait qu’une, ou encore l’étonnante Anne Garréta ainsi qu’avec un ancien ministre de la culture, neveu d’un Président bien connu…

« Les langoustines, les langoustines! », Bernard Pivot et Didier Decoin les réclamaient à cor et à cri,  histoire de faire sortir les journalistes et photographes étouffant la pauvre Edmonde de Charles Roux dans le salon rond de Drouant, bien trop petit pour contenir cette foule de caméras assoiffées d’images d’un pauvre lauréat dont les pieds avaient à peine touché le sol pour y parvenir une fois sorti de son taxi. Le ventre vide c’est toujours plus difficile de patienter…Reste que le jury Goncourt a pour tradition d’attendre son lauréat pour l’inviter à table. Celui ci avait passé  la nuit dans l’avion, encore un peu ahuri de se retrouver là, parlant peu, semblant peser chaque mot. Et jusqu’à minuit, répondant aux questions si incongrues que, même lorsqu’elles avaient disparues, on cherchait encore les caméras…

Petites maisons d’édition à la fête

Le spectacle toujours le spectacle mais version privée au Lutétia où un parfait inconnu, Mathieu Riboulet pour Les oeuvres de miséricorde chez Verdier se vit remettre le prix Décembre- ex-novembre, qui sous le parrainage de Pierre Bergé, permit à l’assemblée de se gaver de verrines et mini éclairs au caramel-de quoi réconforter Laure Adler, membre du jury, si déçue pour Christine Angot, autre finaliste. Et absente de tous les prix comme Amélie Nothomb, jurée elle aussi,  tout de noir vêtue, chapeau assorti et robe longue, s’éclipsant très vite-de quoi entretenir la légende... »Qu’allez vous foutre de toutes ces photos? «  Toujours la même interrogation aux photographes mitraillant sans savoir qui est qui , et le constat que cette rentrée était pleine de livres  » très journalistes ».

Le soir, le Flore-seul prix à être décerné à l’heure du dîner et non du déjeuner (voir article), récompensa également un parfait inconnu, barmaid de son état, Oscar Coop-Phane pour Zenith Hôtel dans une autre petite maison d’édition, Finitudes, confirmant que celles-ci ont cette année, été à la fête toute la semaine, laissant Gallimard avec juste le Renaudot in extremis-le livre de Scolastic Mukasonga, Notre dame du Nil  n’était même pas sur la liste (d’ailleurs, chez Drouant personne n’était capable de dire qui l’avait!) et carrément bredouille Flammarion. Quant à Jöel Dicker et sa Vérité sur l’affaire Québert, qui a bénéficié du plus gros buzz de la semaine avec de François Busnel à Laurent Ruquier en passant par Alexandre Jardin, des critiques dithyrambiques- il aura, après avoir eu le prix de l’Académie française, toutes ses chances pour l’Interallié remis chez Lasserre la semaine prochaine…qui clôt traditionnellement la saison. Et pour ceux qui ont d’ici là faim et soif, lundi soir, c’est la brasserie Wepler avec son prix éponyme qui régalera…

 

Par Laetitia Monsacré

Le jury du Prix Décembre, belle parité homme/femme

 

Pauvre Edmonde de Charles Roux…jurée du Goncourt

L’annonce du Médicis par le jury à la Méditerranée

Le taxi de Jérôme Férrari est derrière la horde de caméras…

 

Ces dames du Femina et leur lauréat, Patrick Deville, qui a frôlé le Goncourt

 

 

 

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