5 janvier 2013
Centre Pompidou/ l’innocence feinte d’Adel Abdessemed


 

Adel Abdessemed ne se sent pas coupable. C’est pour cette simple raison qu’il a intitulé son exposition au Centre Pompidou Je suis innocent. Mais cette pirouette rhétorique ne convaincra personne de l’innocence de son activité artistique. Des carcasses de voitures calcinées (Practice Zero Tolerance, 2006), une étoile dans un cadre de plexiglas constituée de résine de cannabis (Oui, 2000), des vidéos où l’on peut voir des animaux choisis pour leur caractère belliqueux s’entre-tuer (Usine, 2008) ou des couples nus forniquant dans une galerie d’art… Cette conjonction d’images fortes et provocantes est le symbole d’un art inspiré du réel, politiquement engagé, risqué. Abdessemed confond galerie d’art et ring de boxe pour livrer une esthétique de la lutte devant laquelle le public ne peut rester passif : il doit choisir son camp, prendre part au combat, accepter de prendre des coups… Mais tout cela reste évidemment un conflit idéal où l’intégrité physique des spectateurs demeurera indemne. L’œuvre de ce Français d’origine algérienne s’inscrit au sein d’un patrimoine mental commun à partir duquel il donne une forme visuelle à des opinions, des choix vis-à-vis de cette conscience collective.

Quand l’art raconte l’histoire

Son oeuvre s’appuie sur des événements marquants de notre histoire contemporaine et les transforme en emblème, comme si le maillage complexe des péripéties de notre ère formait ponctuellement des entités temporelles séparables dont l’artiste est le témoin et le révélateur : la monumentale statue qui se dresse sur le parvis de Beaubourg représente le coup de tête de Zidane contre la poitrine de Materazzi lors de la finale de la coupe du monde 2006, geste qui restera à la postérité à la fois par lui-même et désormais par le caractère définitif que lui donne sa fixation dans le bronze. Par la mise en scène spectaculaire de matériaux expressifs, Abdessemed produit des visions évocatrices touchantes et désarmantes, comme ce fuselage d’avion compressé qui rappelle violemment le drame du 11 septembre 2001 (Bourek, 2005) ou cette barque en putréfaction suspendue dans l’air et remplie de sacs poubelles dont le titre, Hope, ironise sur le sort de ces immigrants clandestins, rebuts de toutes les sociétés, qui s’entassent dans des embarcations fragiles avec le fol espoir de trouver ailleurs, une vie meilleure. Dans la petite galerie du Centre Pompidou dont la verrière donne sur la fontaine Stravinski, au crépuscule, la lumière tamisée de la rue donne à cette œuvre une force éphémère que l’on ne peut que recommander d’aller voir. Il reste quelques jours pour découvrir l’œuvre étonnante de cet artiste iconoclaste, une bonne alternative à la longue file d’attente qui précède l’expo Dali, d’autant que la plupart des œuvres sont visibles gratuitement (sur le parvis de Beaubourg, dans le grand hall ou depuis la place Stravinski)

 

Par Romain Breton

Adel Abdessemed « Je suis innocent » au Centre Pompidou, jusqu’au 7 janvier 2013.

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