10 mai 2013
Capriccio ou l’envers du décor

Chose suffisamment rare pour être relevé, Capriccio, le dernier opéra écrit par Strauss au milieu du chaos de la Seconde Guerre Mondiale, est présenté dans deux productions différentes cette saison en France. Certes, celle de Garnier, conçue par Carsen en était à sa deuxième reprise depuis sa  création en 2004, et la direction subtile de Jordan en faisait le prix. Si à Lyon David Marton reprend l’idée de la mise en abyme du théâtre, son décor ne recherche le même mimétisme des lieux que le metteur en scène canadien, et nous plonge dans un pastiche discrètement modernisé de salle rococo typique des résidences aristocratiques du dix-huitième siècle finissant où se déroule cette soirée d’anniversaire de la comtesse Madeleine. L’ensemble flatte agréablement le regard, même si l’on peut regretter une élévation excessive de la scène sur la scène : si elle laisse un espace confortable pour les dessous du plateau, elle semble, à rebours des habitudes, davantage conçu pour les spectateurs assis dans les balcons que pour ceux du parterre – de là à y voir un pied-de-nez pour les plus fortunés… Mais, en dépit de son indéniable habilité, la conception du jeune metteur en scène semble trop délibérément prendre le parti du théâtre dans cette querelle entre le texte et la musique laissée en suspens par le compositeur – ainsi, de ces interruptions dans la continuité de la partition pour des numéros d’acteurs inutilement redondants. Et la bousculade de plantations n’a guère de vertus autres que décoratives. Preuve que lorsqu’il s’agit d’opéra, le « prima le parole » s’impose…

Une galerie de portraits

Pour ce qui est des notes, on attendait la Comtesse d’Emily Magee, dont le métier solide avait, en mai dernier à Vienne, su faire oublier la défection de Renée Fleming dans le rôle-titre d’Arabella. Hélas, la Comtesse exige une noblesse que n’instille guère la soprano américaine. A défaut, ce sont bien des notes qu’il faudra se contenter. Le raffinement, on le trouvera plutôt chez Michaela Selinger, actrice Clairon d’une grande justesse de style. Que le frère de Madeleine, le Comte, tombe sous son charme ne surprendra guère alors – Christoph Pohl s’y distingue surtout par son enthousiasme. Rivaux dans l’amour et dans les arts, le compositeur Flamand (Lothar Odinius) affirme une fougueuse juvénilité et une voix claire mais fragile, tandis que Lauri Vasar, le poète Olivier, contraste avec plus de mâle robustesse. Au directeur La Roche est dévolu une émouvante scène où celui-ci résume les rêves et les déceptions de son métier, que Victor Von Halem interprète avec un indéniable engagement. Les petits rôles ne sont pas laissés pour compte. François Piolino dépoussière Monsieur Taupe avec beaucoup d’efficacité ; Elena Galitskaya et Dmitry Ivanchey jouent leur numéro de charme de chanteurs italiens ; Christian Oldenburg fait preuve de présence en  Majordome, et emmène avec cohérence le chœur de serviteurs trop heureux d’être libérés par le départ des invités.
Par sa direction précise, Benhard Kontarsky, chef reconnu dans la musique du vingtième siècle – et bientôt du vingt-et-unième –  met remarquablement en valeur les thèmes et motifs musicaux qui nourrissent la partition – l’héritage wagnérien n’est pas un vain mot pour Richard Strauss… Et comme il s’agit de mettre en scène l’ensemble des forces d’une maison d’opéra, on applaudira aussi les pas de deux danseuses et d’un petit rat. On ne pouvait mieux faire pour ce week-end « Tous à l’Opéra »…
GC
Capriccio, Opéra de Lyon, jusqu’au 19 mai 2013

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