Tous les jours, c’est la même chose. Les journalistes qui ont cédé à l’invitation de rentrer dans le fichier de la marque Dior (Christian a disparu, pas assez international-sic) reçoivent un, voire deux mails de Dior Cannes, autant de « daily review » pour communiquer l’information majeure que une telle (souvent des jeunes premières) était habillée par la styliste italienne de la marque phare de LVMH, Maria Grazia Churi, pour monter les marches ou se prêter à l’exercice du photocall. Pour le grand public, c’est quotidiennement la « Minute Cannes » sur France 2 tandis que tout le service public, devenu pour la première année après Canal Plus, « partenaire media officiel » du festival, semble avoir pris l’avion pour Nice. Laure Adler, Augustin Trapenard pour France Inter, Pierre Lescure, double casquette de président du festival et chroniqueur improbable de Càvous sur France 5, même François Busnel a délocalisé sa Grande librairie sur la Croisette. Et tant pis, si, pendant son direct dans le studio France TV sur la plage cannoise, à ciel ouvert, un feu d’artifice éclate, « C’est la magie de Cannes, chéri » comme s’esclafferait Edouard Baer. Laurent Delahousse bientôt débarqué du 20 heures- ouf- donne dans ce qu’il préfère, le people, et l’autosatisfaction/ autocongratulation plus virale que le COVID 19 dont le seul moment supportable est l’occasion d’entendre l’enivrant Aquarium de Camille Saint-Saens.
Pouvoir d’achat contre dîner de gala
Car, enfin, après une édition annulée en 2020 et décalée en juillet en 2021, le Festival est redevenu comme « avant », lire notre reportage Aller à Cannes ou pas?, pour le plus grand plaisir des cannois ou autres milliardaires mouillant leur yacht dans la baie cannoise, avant de finir la nuit au Palm Beach et autres boites de nuit ou plus chic encore, soirée after la projection dans une villa privée. Dès lors, la journée commence souvent tardivement pour les clubbers qui, à la différence de 2500 journalistes qui se battent dès potron minet pour assister à la projection presse de 8 heures du matin, partent à la chasse des invitations, du Club by Albane, la reine des nuits cannoises sur la terrasse de l’hôtel Gray d’Albion- vue sublime, ambiance de merde (eh oui, le champagne ou l’open bar ne suffisent pas toujours à se lâcher). Le dîner de gala prévu ce mardi 24 mai pour fêter les 75 ans du festival ne devrait pas déroger à cette règle même si on se battra sec pour faire partie des 700 invités, à défaut d’aller voir des films, stigmatisant le recul de fréquentation des salles qui, à 12 euros le billet, sont devenues un luxe pour la moitié des cinéphiles qui ne sont pas retournés, depuis la pandémie, dans les salles noires.
De la Croisette à Boutcha
Un mardi 24 mai 2022 qui, accessoirement est aussi, le jour anniversaire du troisième mois de la guerre en Ukraine. Boutcha, Marioupol, autant de villes martyrs où ont péri plus de 8000 civils tandis que l’on annonce le très lourd bilan de 50 000 morts, soit quasiment l’équivalent d’une ville comme…Cannes. Terrible comparaison dans un conflit surmédiatisée confirmant que « dans la guerre, les premières victimes sont les civils, la seconde, la vérité ». Comme au cinéma, mais en vrai, images de propagande ukrainienne contre celles des Russes, jamais on a disposé d’autant d’images grâce notamment aux services sociaux avec forcément des thèses complotistes pour minimiser la violence russe. « Moi, je sais des choses que vous, pauvres ignorants victimes de l’émotion de masse » a marché le feu de Dieu, entre les « informés » citant la journaliste française Anne Laure Bonnel, « censurée » pour sa version bien moins idéaliste de qui est le bon et le méchant et les autres, « pauvres téléspectateurs crédules », ruisselant d’empathie pour « les pauvres petites filles blondes aux yeux bleus »-si loin, si proche. Marioupol? Rappelez-vous Alep! Et le silence des médias sur une guerre bien plus lointaine, d’autant qu’elle se déroulait dans un pays musulman. Sauf que, en l’occurrence, être « informé » c’est savoir que Anne Laure Bonnel s’est faite avoir par ses « fixeurs »( les locaux que le journalistes utilisent pour les aider sur le terrain) plus que pro-russes; être informé, c’est aussi confirmer le fou de guerre qu’est Vladimir Poutine, qui de la Tchétchénie à Beslan, en Ossétie du Nord- 330 morts dont 186 enfants pour mettre fin il y a quinze ans à la prise d’otage dans une école, n’a cessé de choisir la manière forte en ayant aussi peu de respect pour les vies humaines que celles des fourmis. Celles des civils ukrainiens comme celles de ses soldats dont certains réservistes n’hésitent plus à préventivement s’exiler.
En passant par Kaboul et Roland Garros
Etre informé, c’est aussi savoir que neuf mois après le lâchage américain de l’Afghanistan, le régime taliban a accouché d’un monstre qui oblige désormais petites filles et femmes à porter le niqab quand elles ont la chance de ne pas être vendues pour quelques centaines de dollars par leur mère affamée, contrainte de sacrifier une de ses filles pour nourrir les autres. C’est sûr qu’à cinquante centimes chaque jour pour nourrir trois enfants quand le père est mort au combat, énième victime d’un pays en conflit armé permanent, on peut difficilement imaginer que quelque part dans le monde, des joueuses de tennis ahanent comme elles jouiraient en tapant court vêtues sur une balle ou que des « influenceuses » aux lèvres botoxées font des Tiktok en montant les marches, avec des millions d’euros autour du cou d’un, ô combien, obscène tapis rouge jusqu’à ce qu’une femme nue, plus décente que toutes les autres, condamne le viol, drame s’il en est, universel.
Par Laetitia Monsacré