6 avril 2014
Bérénice ressuscitée à Tours

BERENICE OpŽra de Tours avril 2 014 � FranÁois Berthon  5957
Mort il y a tout juste un siècle en défendant sa propriété contre l’envahisseur allemand, Albéric Magnard est tombé dans un oubli injuste dont vient le tirer Jean-Yves Ossonce et l’Opéra de Tours en ressuscitant Bérénice, le dernier de ses trois opéras – les deux autres étant Yolande et Guercoeur. Le guignon qui frappa le compositeur français dans le domaine lyrique connut un répit quand en 1990 le festival de Montpellier donna Bérénice pour la première fois en version de concert depuis sa création en 1911, avant que l’Opéra de Marseille ne lui offre enfin à nouveau les honneurs de la scène onze ans plus tard, en 2001, ce que la maison tourangelle renouvelle avec une production due à Alain Garichot.
Fond uni tirant vers le bleu nuit, colonne et estrade blanche immaculée, sa mise en scène très sobre et épurée restitue parfaitement l’intimité d’une tragédie qui se noue dans l’antichambre du pouvoir, à l’instar de l’esthétique racinienne dont elle est inspirée. Nul besoin de réactualisation ou de réinterprétation prétendument contemporaine, le drame rayonne de son intemporalité, ce que le présent spectacle a parfaitement compris et traduit. L’économie des gestes ne signifie pourtant aucun statisme ni jeu convenu, tant les interprètes, et particulièrement les deux principaux qui occupent presque sans discontinuer le plateau pendant toute le durée de l’ouvrage, brûlent du feu intérieur qui anime leurs personnages.

Un duo de premier plan

Dans le rôle-titre, Catherine Hunold s’épanouit de son soprano lyrico-dramatique qui la destine aux grandes héroïnes wagnériennes – et qu’elle a déjà abordées avec une Brünnhilde rennaise l’an dernier avant Ortrud pour la saison prochaine – autant qu’un répertoire français qu’elle sert tout aussi remarquablement. Son souffle se distingue une ampleur naturelle où se nourrissent la constance et l’orgueil de la reine juive. Jean-Sébastien Bou lui donne en Titus une réplique à sa mesure. Balancé entre le devoir et l’amour, son empereur déploie une admirable profondeur de sentiment, dont la lâcheté finale n’égratigne pourtant point la noblesse. Plus à vif que celle, généreuse et ronde, de Bérénice, sa voix affronte différemment une écriture très symphonique, ménageant avec davantage d’aisance l’intelligibilité immédiate d’un texte que le compositeur, plus soucieux de la fusion des éléments que du soutien à la diction, a utilisé presque comme un pupitre au milieu de ses semblables dans la fosse.
Riche en timbres, couleurs et textures, la partition est défendue par Jean-Yves Ossonce avec une finesse et un instinct du style qu’il convient de saluer – l’ouverture, qui condense les thèmes de l’œuvre, en témoigne avec éclat. Mentionnons également les apparitions de Nona Javakhidze en Lia, la suivante de Bérénice, et Antoine Garcin, Mucien, à l’ombre de leurs maîtres, mais non de leur destin. Celui de Magnard en tout cas exprimera sa gratitude à l’audace de l’Opéra de Tours et de son directeur, Jean-Yves Ossonce. Le public également, qui a répondu présent, et dément les financiers un peu trop Cassandre.
Gilles Charlassier
Bérénice, Opéra de Tours, du 4 au 8 avril 2014

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