17 novembre 2022
Béatrice et Bénédict, première d’un opéra de Berlioz à Rennes

Berlioz reste un compositeur mal-aimé en France. Si les effectifs de certains de ses opéras comme Les Troyens ou Benvenuto Cellini les destinent aux théâtres lyriques qui disposent d’une large fosse – qui pour autant ne se bousculent pas pour les mettre à l’affiche alors qu’ils ne reculent pas devant les moyens exigés par Wagner ou Strauss – l’ouvrage plus léger, dans tous les sens du terme, qu’est Béatrice et Bénédict demeure tout aussi négligé, avec un nombre de productions sur les vingt dernières qui peuvent se compter sur les mains, voire une seule. La nouvelle coproduction avec Angers Nantes Opéra coïncide non seulement avec la création scénique de l’œuvre en Bretagne, mais aussi la première fois à voir un Berlioz représenté à l’Opéra de Rennes.

Si le spectacle réglé par Pierre-Emmanuel Rousseau reste fidèle au livret du compositeur, il remet sa nostalgie librement inspirée de Shakespeare et Beaucoup de bruit pour rien à l’heure de la sienne, marquée par un certain souvenir de la France des années Mitterrand. Dans une modernisation de la Sicile de pacotille de la pièce au cœur du climat mafieux où la lutte contre les Maures devient un règlement de comptes avec un clan rival, les brushings de ce monde impitoyable prennent une allure Dallas au milieu d’une fête de mariage sur la plage.

Du rire et de l’émotion pour tous

Si l’allusion au célèbre « Je vous ai compris », est assumée, l’impayable Somarone aux allures de prêtre de Lionel Lhote se glisse un moment, en l’absence du metteur en scène, dans la peau de Stanislas Lefort, chef de choeur aussi cabotin que la baguette de La Grande Vadrouille. Sous les lumières de Gilles Gentner, les cotillons et les panneaux d’ampoules festives de la seconde partie se révèlent plus sages – et les références aux trafics divers s’estompent pour ne plus interférer avec la comédie désabusée des sentiments, le cœur d’une intrigue schématique dont l’habillage parfois un peu appuyé ne boude pas le divertissement et le plaisir du public.

Dans le couple-titre de l’ouvrage, la Béatrice de Marie-Adeline Henry affirme une irrésistible nervosité dramatique, soutenue par un médium nourri, une vitalité de la ligne et une évidente présence, face à la fausse désinvolture de Bénédict incarnée par Philippe Talbot, avec une clarté et une légèreté de la voix, calibrées pour le chant français, qui compensent les limites du timbre. Au lyrisme naïf de la Héro campée par Olivia Doray répond le Claudio solide, parfaitement en situation, de Marc Scoffoni. Marie Lenormand séduit davantage par son mezzo charnu que par sa perruque et son maquillage qui en font un sosie de Régine. En quelques interventions, Frédéric Caton ne manque pas de l’autorité débonnaire de Don Pedro, tandis que les répliques parlées reviennent au Léonato déclamé par Achille Jourdain. Préparé efficacement par Xavier Ribes, le Choeur d’Angers Nantes Opéra se glisse sans réserve dans la direction alerte de Sascha Gotzel, lequel fait ressortir les couleurs des pupitres de l’Orchestre national de Bretagne, et rend justice à une partition qui est un épitomé de l’art de Berlioz et mériterait de compter pleinement au répertoire de tous les opéras, grands et moins grands, de France.

Par Gilles Charlassier

Béatrice et Bénédict, Opéra de Rennes, du 12 au 18 novembre 2023 et à Angers le 3 décembre 2023

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