14 avril 2012
Bayrou, en panne

Depuis trois semaines, c’est davantage du score obtenu en 2002, un peu plus de 6 %- que de celui de 2007, presque 19%,  que François Bayrou semble approcher dangereusement. Il n’est plus le troisième homme mais en position pour devenir la cinquième roue du carrosse élyséen.

L’ancien ministre de l’Education avait pourtant commencé par livrer un début de copie parfaite. Preuves en furent les ralliements en série venus de la droite en la personne de Philippe Douste-Blazy ou  Alain Lambert, tous deux anciens ministres UMP et son « made in France » repris à toutes les sauces révélant l’acuité du propos tenu par le leader centriste. Les 14% du mois de décembre, quelques jours après son entrée en campagne, n’avaient en réalité étonné personne tant l’intéressé semblait avoir réussi son pari de faire oublier sa longue traversée du désert. Cinq années pendant lesquelles les absences du Parti centriste dans les chambres de vote et aux postes exécutifs locaux avaient décrédibilisé le Béarnais et semblait avoir affecté  sa capacité à jouer la campagne de 2012 pour la gagner.

Non soluble dans la Vème République

Mais des raisons tant structurelles que conjoncturelles sont venues nuancer sa copie et la teinter de ratures. Ainsi, le système politique français encadré et imposé par la Vème République ne lui convient absolument pas. La personnification de la fonction présidentielle jusqu’à la schizophrénie, couplée au système bipolaire soutenu par l’élection du président au suffrage universel (lequel renforce les représentants des deux plus grands partis) rendent le désir du Béarnais de favoriser l’émergence du centre quasi inassouvissable. Ensuite, chaque prétendant vainqueur tient à sa disposition un parti avec une base réelle bien ancrée, une équipe de politiques avertis (parlementaires et experts) et un foyer d’élus locaux servant de relais dans l’Hexagone. Or, le MoDem n’a actuellement que 4 députés siégeant à l’Assemblée nationale et 5 au Parlement européen. Enfin, ambassadeur du parler vrai, Bayrou a épousé les traits d’hommes politiques qui n’ont jamais réussi à s’imposer: Pierre Mendès France, Raymond Barre et Michel Rocard en ont fait les frais depuis plus de cinquante ans. Corollaire de cette fidélité à un discours réaliste sans fioriture: si l’agrégé de lettres Bayrou est un orateur apaisé au français impeccable, il n’est cependant pas un tribun emporté dont des paroles exaltantes font rêver les foules. Or Sarkozy en 2007 et Mélenchon en 2012 l’attestent une fois de plus : la France reste une terre latine où la verve faconde et le geste bateleur ont, même avant Gambetta, toujours eu leurs lettres de noblesse. Si l’on ajoute la normalité de sa femme (ni top-model ni journaliste à Paris-Match), on conclut que The Guardian avait vu juste dans sa description : une homme « gentil mais ennuyeux », manquant d’étoffe, de prestance et d’atouts pour séduire ce « peuple frondeur ».

Une campagne ratée

Sur les idées tout d’abord, Bayrou a été chahuté. S’il répète par monts et par vaux avoir vu la crise se profiler dès 2007 et donc avant les autres, tous ses adversaires ont depuis fait leurs les propositions d’équilibre budgétaire et d’assainissement des comptes publics. Dans une campagne où l’avenir de l’Union européenne devait être omniprésent, un thème cher au chrétien-démocrate europhile qu’il a toujours été, jamais le drapeau nationaliste et protectionniste n’a autant flotté sur le mât du France. Enfin, la thématique « sécurité » a crû en importance dans le cœur des Français (sans pour autant détrôner celle de la dette et du pouvoir d’achat), ainsi que l’immigration. Or, il n’existe pas sur ces sujets de « lecture centriste ».

Ensuite, le déroulement de la campagne l’a fragilisé. Hollande a en effet eu son moment lors du meeting du Bourget le 25 janvier et sa proposition de taxer  à 75%  les revenus supérieurs à 1 million par an) pour marquer l’esprit des votants. Sarkozy n’a, quant à lui ne cessé d’égrener des propositions pour maîtriser le tempo de l’agenda de la campagne , ravigorant avec le meeting de Villepinte  ses troupes. Du reste, après un début de campagne très à droite, le Président sortant a centralisé ses idées et parviendrait, selon les dernières sondages, à glaner des voix tant à Le Pen qu’à Bayrou. Du côté du MoDem, on attend cette rencontre du candidat centriste avec le peuple et la proposition surprise qui lui permettrait d’être vu comme un candidat proposant des alternatives et non uniquement comme dénonçant une situation. En outre, sa posture anti-UMPS de 2007 et reprise aujourd’hui n’est plus sienne tant Le Pen et Mélenchon la revendiquent à leur tour. Couplée à son choix de continuer à mener sa campagne lors des événements de Toulouse, l’attitude de Bayrou a surpris voire froissé de nombreux électeurs.

Chute libre dans les sondages

La cote de Bayrou baisse avec le nombre de jours le séparant du premier tour. Mais lui répète y croire et n’envisage pas le second tour autrement qu’en vainqueur final. Au moment où Sarkozy reprend quelques couleurs dans les sondages, Bayrou est également victime d’un vote utile car beaucoup d’électeurs semblent préférer se débarrasser dès que possible du Président sortant en choisissant Hollande.

En réalité, « depuis une semaine, même le cercle rapproché n’y croit plus » confesse dépitée une source proche du candidat centriste. Interrogée sur la paradoxale situation de Bayrou – ses idées sont au centre du débat mais il ne décolle pas –, elle juge qu’une « erreur tactique » a été commise en tapant sur Hollande et ses 60 000 fonctionnaires supplémentaires pour l’éducation alors que Sarkozy laissait l’espace du centre-droit grand ouvert. Et constate : « Malgré les cinq années de clivage sous Sarkozy, on reste en 2012 dans une campagne où le choc prévaut. L’union nationale semble être rejetée ». Fidèle à l’annonce qu’il avait faite en juin 2011, le chef du MoDem devrait appeler à voter « Seul lui sait pour qui » en échange de « quelques ministères et d’un groupe parlementaire ».

Quel ralliement? 

Alors Bayrou, parti à pour s’engager avec l’UMP ou avec le PS ? « Je suis plus proche humainement de M. Hollande, mais programmatiquement plus proche de M. Sarkozy » annonçait -il dans Le Monde cette semaine. Certainement hésitant, un coup d’œil outre Manche ne le rassurerait pas pour autant. Les Lib-Dems se sont alliés au gouvernement conservateur de David Cameron en juin 2010, et connaissent depuis lors une chute dans l’opinion publique et des échecs électoraux. Etouffé par les Tories, le parti dirigé par l’europhile Nick Clegg n’a en réalité quasiment jamais eu voix au chapitre. Une implacable frustration pour les Lib-Dems que partage Bayrou, lequel doit tirer la langue et les conséquences d’une possible collaboration similaire dans ses calculs actuels.

Plusieurs éléments cependant pourraient légitimement le réconforter et lui permettre de peser de tout son poids à l’entre deux-tours. Tout d’abord, François Bayrou est incroyablement populaire, et bien qu’il ne parvienne pas à transformer cette adhésion à la personne en vote pour sa personne, cette sensibilité à son endroit montre bien qu’il plaît à une majorité de Français. Ensuite, dans l’optique où il n’accédait pas à la finale, le centriste resterait dans une position judicieusement confortable tant il incarne à l’idéal la posture du faiseur de roi. Il peut en conséquence faire chanter autant Hollande que Sarkozy. Les deux favoris savent en effet respectivement que leur douce voix flûtée dirigée exclusivement vers l’électorat de Mélenchon et celui de Marine Le Pen ne suffira pas à l’emporter. Tentant de réduire l’écho de certaines de leurs propositions – sur la fiscalité à gauche, sur l’immigration à droite –, certains membres du PS (Bruno Le Roux) et de l’UMP (Pierre Méhaignerie) content ainsi fleurette au paysan des Pyrénées-Atlantiques depuis quelques semaines. Mickael Darmon, journaliste sur i-Télé, a même twitté récemment que Sarkozy aurait déclarait installer Bayrou à Matignon ou dans un ministère d’Etat s’il obtenait entre 12 et 15% des suffrages… Dans la course à la séduction, jusqu’où iront les socialistes ? Les récents sondages (Ipsos) montrent en effet que les reports de voix des électeurs centristes sont désormais équilibrés entre les deux favoris : 42% vers Hollande, 39% vers Sarkozy (19% sans intention).

Voilà donc autant d’éléments qui remplissent de joie ses soutiens et les objectifs du biographe de Henri IV. Encore faudra-t-il que cet intransigeant laïc considère que Matignon vaut bien une messe…

Par Arthur Beckoules

Articles similaires