10 juin 2012

Hier, j’ai abordé une femme.

Elle buvait un verre de vin gris sur une terrasse du Quai Notre Dame et tenait entre ses mains une Odyssée, à la couverture vert foncé. Ses cheveux, courts et bruns, semblaient former un casque sur son crâne. Je lui ai demandé si je pouvais m’asseoir à sa table.

Elle a hoché la tête pour dire oui, d’une moue mi souriante, mi détachée. Elle venait de sortir d’un théâtre, aux murs immenses et blanc, situé à quelques mètres de là. Elle m’a raconté qu’elle avait été reine, que beaucoup avait été écrit sur elle et qu’elle voudrait retourner à Troie. Je ne comprenais pas tout mais je l’écoutais. Elle s’est tue et j’ai commandé deux autres verres de vin gris.

-Tu as été reine ?
-Oui. Mais peu importe puisque je ne le suis plus…

Elle arrivait de Saratov et ne connaissait rien du Havre. Auparavant, elle était restée longtemps à Delphes.

Une fois son verre vide, elle m’a demandé de lui faire découvrir l’océan. Nous avons compté les ferrys, laissé nos empreintes sur le sable, écouté le souffle du vent… La nuit n’était pas encore tombée mais les flots semblaient noirs.

Notre théâtre et sa blancheur  lui sont revenus en tête et elle aurait voulu les voir naviguer sur ces sombres vagues.

Nous sommes retournés jusqu’à notre blanc Volcan puis nous nous sommes laissés guider par les quais et les docks jusqu’aux containers. Elle s’arrêtait devant les plus rouillés. Après avoir scruté leur rouille, elle en arrachait des plaques. « Pour les coller sur des toiles » m’a-t-elle dit.

Le reste de la soirée nous a vus voguer entre des perpendiculaires bétonnées, d’un bar à un autre. Le long des trottoirs, nous prononcions quelques mots tandis qu’auprès des comptoirs, nous ne disions plus rien. Alors que la pluie enveloppait la ville, au détour d’une phrase, elle a commencé à évoquer ses amours passés. Elle m’a révélé que trop d’hommes l’avaient aimée. Trop de femmes également. Elle n’a prononcé que les noms des premiers. Achille, Quintus, Heinrich, Alain… Heinrich, son plus grand amour…

Nous sommes entrés dans un hangar et nous avons passé des heures à danser. C’était un ancien hangar de tri postal et beaucoup d’autres vacillaient là aussi. A cinq heures du matin, nous sommes rentrés jusque chez moi, plus qu’éméchés. Et nous avons fait l’amour jusqu’à l’aube.

Au réveil, nous avons joui à nouveau. Puis, dans la cuisine, nus, nous avons bu du café. Nous ne disions rien, échangeant juste de temps en temps un regard ou une caresse.

Elle s’est levée et est retournée dans la chambre pour s’habiller. «  Je vais y aller » ai-je alors entendu. Elle a pris son sac, m’a fixé dans les yeux sans esquisser un sourire et s’est dirigée vers la porte.

Je l’ai raccompagnée jusqu’au seuil. Elle s’est penchée pour m’embrasser et m’a dit que la prochaine fois, elle m’expliquerait pourquoi elle a un sein coupé.

Par Baptiste Gerbier

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