4 novembre 2019
Automne musical à Boston sous le signe des raretés

Si, quand on parle de la côte-est, on pense d’abord à New-York pour la foisonnante vie culturelle, Boston, avec ses allures cossues vieille Europe, mérite plus que le détour. Son Symphony Hall, aux aménagements traditionnels peut-être moins typiquement américains que d’autres auditoriums du Nouveau Monde, compte parmi les plus belles salles de concert au monde, et le Boston Symphony Orchestra, l’un de ceux que l’on surnomme les « Big Five » – pour les cinq meilleures phalanges d’outre-Atlantlique. Cette réputation, faite au milieu du vingtième siècle, n’est pas usurpée encore aujourd’hui, là où d’autres ont sans doute décliné, et le début de cette cent-trente-neuvième saison le confirme avec un programme permettant d’entendre des ouvrages rares à l’affiche.

Invité pour la première à Boston, Dima Slobodeniouk fait partie de ce vivier de baguettes remarquables que nous réserve la Finlande et sa très renommée Académie Sibelius. C’est d’ailleurs avec une pièce du plus grand compositeur de son pays que le chef d’origine russe ouvre la soirée. La fille de Pohjola opus 49 de Sibelius puise dans le folklore national compilé au dix-neuvième siècle dans le Kalevala. On reconnaît la pâte de l’auteur de la Valse triste, avec un sens des couleurs et des textures qui tisse une évocation narrative équilibrée, restituée et calibrée avec une sobriété investie. C’est d’ailleurs ce même refus du sentimentalisme qui affleure dans l’interprétation du Concerto pour violoncelle en mi mineur opus 85 d’Elgar proposée par Truls Mørk. Le vibrato noble et chantant de l’instrument soliste sert une lecture concentrée, mais jamais austère, et trouve dans l’orchestre un soutien et un partenaire efficaces. La tension expressive s’inscrit dans une évidente maîtrise de la dramaturgie formelle que l’on retrouvera, après l’entracte, dans la Symphonie n°5 opus 50 de Nielsen, autre maître de cette Europe du nord parfois laissée dans l’ombre. Le chef finlandais défend de manière convaincante une partition ça et là déroutante, en deux vastes mouvements eux-mêmes divisés en deux parties pour le premier, et quatre pour le second. La solidité et l’homogénéité vivante des pupitres bostoniens se mettent au service d’une écriture symphonique singulière, et témoignent de l’étendue du répertoire de la formation nord-américaine.

Des singularités scandinaves à une résurrection belcantiste

Quelques semaines plus tard, on a rendez-vous à l’Odyssey Opera, compagnie lyrique de Boston qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus auxquels sont parfois contraintes les institutions plus imposantes, et qui a placé sa dix-septième saison sous le signe de la dynastie des Tudor. Après la redécouverte en septembre de Henry VIII de Saint-Saëns, c’est Maria, regina d’Inghilterra de Pacini, un joyau méconnu du bel canto italien qui nous est proposé en ce début novembre sur la scène de l’Hufftington Avenue Theater, à quelques pas du Symphony Hall. Dans la scénographie de Jeffrey Allen Petersen, rehaussée par les lumières de Jorge Arroyo, le spectacle de Steve Maler privilégie une illustration du livret, avec des simplifications poétiques efficaces, à l’exemple de la fonction assumée par l’astre lunaire, même si la modestie des moyens ne dissimule pas toujours la nature des artifices. Si les costumes de Brooke Stanton, qui se veulent également fidèles, et la direction d’acteurs ne s’aventurent pas dans l’expérimentation, le plateau a le mérite de donner une tribune à de jeunes talents.

Dans le rôle-titre, Amy Shoremount-Obra ne ménage pas son engagement et affirme une indéniable présence, face au Fenimmore vaillant de Kameron Lopreore. La fraîcheur du lyrisme de la Clotilde campée par Alisa Jordheim s’apparie avec le Malcolm palpitant de sentiment de Leroy Davis. James Demler impose l’autorité de Churcill, quand l’intervention du page revient à Katherine Maysek. Sous la houlette de son directeur artistique Gil Rose, l’Odyssey Opera Orchestra and Chorus s’accommode de quelques relatives faiblesses épisodiques de la pièce, et fait vibrer l’invention mélodique et vocale d’un contemporain de Bellini et Donizetti tombé dans l’oubli. Avec cet opus de Pacini, l’Odyssey Opera contribue à réparer les négligences de la postérité. Et le reste de la saison confirme une ambition que les mélomanes ne manqueront pas d’apprécier, avec, entre autres, en février, une création d’Arnold Rosner, The chronicle of nine, sans oublier le fonds discographique produit par la compagnie. A Boston, on cultive la curiosité.

Par Gilles Charlassier

Boston Symphony Orchestra, octobre 2019, Odyssey Opera, Boston, novembre 2019

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