26 novembre 2014
Aujourd’hui musiques à Perpignan, à l’oreille et à l’œil

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Chaque année en novembre, Perpignan est le rendez-vous de tous ceux pour qui la création musicale contemporaine n’a pas à rester réservée à une élite, et la programmation de l’édition 2014 d’Aujourd’hui musiques le confirme.  Sorte de modus vivendi du festival, les passerelles qu’il établit entre les répertoires et les générations se retrouvent dans les deux derniers concerts, avant la soirée de clôture avec une intime et poignante Katia Kabanova importée du Théâtre des Bouffes du Nord – où elle sera d’ailleurs redonnée prochainement.

Les correspondances de Bruno Mantovani

C’est ainsi que jeudi 20, sur la scène du Théâtre de l’Archipel, Bruno Mantovani, le directeur du CNSM de Paris, natif de Perpignan, présente la mise en perspective de quatre de ses partitions avec de plus – ou moins – grands classiques, confiés aux mains expertes du Trio Wanderer et de Claire Désert. A l’Andante un peu réservé de la Sonate pour violon et piano BWV 1027 de Bach répondent les Cinq pièces pour Paul Klee, miniatures pudiques comme les petits tableaux du peintre suisse. En regard d’une Huitième Novelette de Schumann aussi habitée que délicate, Claire Désert fait entendre la richesse de Suonare, où l’on retrouve une alchimie entre sentiment et virtuosité, entre transparence et densité. La pianiste offre aux côtés du violoniste Jean-Marc  Phillips-Varjabédian une Deuxième Rhapsodie de Bartok intelligente, loin de toute caricature folklorique, qualités que l’on retrouve dans All’Ungarese. Grand passeur de Schubert, le Trio Wanderer éclaire le Notturno du Trio D 897 avec une inimitable poésie, tandis que l’esprit viennois souffle sur les Huit Moments Musicaux qui, sans concession aux modes, démentent la réputation d’intellectualisme infligée à la musique d’aujourd’hui.

Percussions nues

Le lendemain, c’est à une fête du rythme et des percussions dans tous ses états que nous convient Philippe Spiesser et ses élèves de la Haute Ecole de Musique de Genève, où talents du présent se joignent à ceux de l’avenir. Elevant les mains des trois percussionnistes, chacun devant une table, au statut d’instruments, Musique de table de Thierry de Mey fascine par une complexe magie rythmique dissimulée derrière une apparente simplicité. Les motifs reviennent en boucle, sans pourtant céder à une facilité réductrice : l’inspiration et la maîtrise des solistes fait son œuvre. Jouant de la puissance suggestive du mime, Silence Must Be fait résonner, non sans une touche d’humour complice, l’écho des gestes quasi ritualisés aux deux percussions. D’une durée deux à quatre fois supérieure aux autres pièces de la soirée, Les Guetteurs de Sons de Georges Aperghis foisonnent de trouvailles – textes, murmures, etc – dans un esprit très théâtral : si cette manière de sortir la musique hors de ses limites naturelles n’a plus cours aujourd’hui, sa relative prolixité ne lui retire en rien de son efficacité.

Foisonnement technologique

Avec Léo Collin, compositeur de vingt-quatre ans et ses Anamorphones pour Karlax, on fait un bon générationnel et technologique. Cet objet au nom un peu barbare inventé en 2005 par une société française, De Fact, qui de loin ressemble à un crucifix, et de près à une petite clarinette, permet de transformer en sons les mouvements de l’instrumentiste, d’où le titre du morceau qui fait référence aux anamorphoses, ces illusions d’optique dont on peut reconstituer la forme originale si l’on se place d’un certain point de vue, l’exemple le plus célèbre étant le crâne des Ambassadeurs d’Holbein Le Jeune. Le résultat ne manque pas d’habileté, même s’il sacrifie souvent à la saturation sonore. Péché de jeunesse que l’on remarque aussi dans la seconde partie de Step, création d’Arturo Corrales qui fait appel à une bande électronique et la vidéo, tandis que les jeux avec les ombres des trois percussionnistes au début de la partition dégagent une indéniable force poétique. Cette spatialisation de la musique trouve en Time & Money, Le Cube de Pierre Jodlowski, invité régulier du festival roussillonnais, une expression bluffante d’économie, où les frontières et les formes virtuelles – du cube – se font son et musique avec une éloquence – presque –sans artifices. Les 24 Loops qui concluent le programme réunissent l’ensemble des étudiants pour un final haut en couleurs et en images. On en redemande. A n’en pas douter, à Perpignan, la musique contemporaine ne s’adresse pas qu’aux oreilles.

GC
Festival Aujourd’hui musiques, Perpignan, du 14 au 22 novembre, concerts des 20 et 21 novembre 2014

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