21 novembre 2011

Quand j’ai appris la disparition de Danielle Mitterrand, j’ai eu instinctivement le sentiment qu’avec elle disparaissait  un des derniers témoins d’une époque révolue. Non point qu’il s’agisse d’ajouter au concert des hommages qui se sont succédés, mais plutôt vous dire qu’avec madame Mitterrand, c’est une page de l’histoire – de mon histoire – qui s’en est allée, avec son cortège mélancolique de feuilles mortes retardataires.
Je fais partie de cette génération née avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, que l’on a baptisée la génération « Mitterrand ». Cela me fait un peu sourire aujourd’hui, comme si l’on avait été oint par le nouveau président à notre berceau – avec le recul, on aurait pu nous appeler la génération « Mazarine ». Pourtant, à y regarder de plus près, il y a quelque vérité sous cette image d’Epinal.
Nos parents avaient été élevés par des femmes et des hommes qui avaient connus la guerre et ses restrictions, et découvraient la société de consommation, l’informatique qu’ils ne maîtrisaient pas tous. Nos aïeux, qui avaient l’âge du couple présidentiel, ont vécu sous l’Occupation, ont été Résistants, ou se sont accommodés davantage des temps troublés. Un monde où le souvenir du danger et de la rareté donnait tout son sens aux valeurs de liberté et de solidarité. Un monde où insécurité et immigration n’étaient pas encore les maîtres mots des politiques de tous bords – je viens de lire un entretien d’André Valimi sur les positions de la gauche à propos des questions de sécurité : ne pas revenir immédiatement sur l’héritage récent en dit long sur l’évolution des mentalités politiques. Un monde où l’on croyait encore aux vertus de l’éducation. Un monde où on respectait autant les profs que les flics. Un monde où l’on ne confondait pas politique du chiffre et lutte contre la délinquance. Un monde où un automobiliste n’était pas un criminel en puissance. Un monde où on se cachait encore pour aimer. Un monde où le chef de l’état honorait la langue française et ne portait pas de talonnettes. Un monde où la réussite ne se mesurait pas encore à la Rolex. Un monde où on croyait encore aux lendemains meilleurs. Un monde où le capitalisme n’était pas mondialisé. Un monde où l’on n’était pas sept milliards. Un monde où j’étais encore un enfant, naïf. Un monde que Danielle Mitterrand incarnait encore, et qui désormais s’éloigne dans nos mémoires.

Par Gilles Moîné – Charassier

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