8 novembre 2012
Marie-Agnès Gillot, à l’aise dans ses pointes

A l’image de celles dans le ciel, les étoiles de l’Opéra de Paris paraissent inaccessibles, quelque peu irréelles. Lorsqu’elles ont en plus le corps longiline de Marie-Agnès Gillot, qui semble sur scène ne pas avoir de limite, c’est une chose étrange que de se retrouver en train de lui dire que vous prenez du sucre dans le thé qu’elle vous offre de vous apporter à une table de la cafétéria de l’Opéra Garnier. A 37 ans, Marie Agnès Gillot dit avoir atteint un équilibre parfait entre sa tête et son corps. Après une double scoliose, un corset porté toute la journée sauf lorsqu’elle dansait, une entrée précoce dans le corps de ballet à 14 ans et demi après l’école de danse de l’Opéra qu’elle dit avoir adorée « je dansais toute la journée, je n’aimais que cela déjà » , elle a su aujourd’hui réaliser toutes ses envies, y compris comme chorégraphe-« une nécessité »  avec Sous Apparence, actuellement donné à Garnier (voir article). « Au moins le corps se repose » dit-elle en riant, les jambes enveloppées dans un survêtement en laine aux motifs géométriques, enfin au repos comme le reste de son corps, avant d’enchaîner sur les répétitions de Don Quichotte et William Forsythe/Trisha Brown- des longues journées où elle danse près de neuf heures, sans relâche, ses dernières vacances remontant à cinq ans. Mais pas question de s’en plaindre; au contraire, il semble n’y avoir que de la réjouissance dans cela à entendre son rire clair si souvent fuser.

Vous êtes venue saluer hier soir, comme si vous n’osiez pas vraiment le faire…Vous êtes pourtant habituée à la scène, non?

Oui, mais ma pièce est aux danseurs maintenant! C’est leur ballet… le public veut me voir alors j’apparais avec d’ailleurs une mise en scène pour le costume mais j’aime que les interprètes se l’approprient, c’est le but! Si l’on ne veut pas cela, il faut changer de métier; les grands chorégraphes le savent, ils laissent les danseurs tout « porter ».

Etes-vous plus inquiète comme interprète ou comme créatrice avant un lever de rideau?

Que je danse ou pas, je ne suis pas quelqu’un qui stresse; c’est d’ailleurs pour cela que l’on aime danser avec moi, c’est que je n’envoie pas ma tension sur les autres! C’est beaucoup plus tranquille sinon de regarder les autres; je suis d’ailleurs toujours en coulisse pour rassurer les danseurs, qu’ils puissent croiser mon regard. Et même si la mise à nu est plus importante lorsque l’on chorégraphie, je me sens plus fragile lorsque je danse.

Vous souvenez vous de vos premières envies de chorégraphier?

J’ai commencé à créer avant de danser lorsque j’avais quatre, cinq ans. Je créais des spectacles! J’ai lu que c’était ma première chorégraphie dans plein d’articles mais c’est n’importe quoi! J’ai chorégraphié ma première pièce il y a sept ans, c’était un spectacle de hip-hop; avant j’avais aussi créé mais sans signer, des choses bizarres comme cet homme dans une bulle. Enfin, des choses différentes. C’est une dominante chez moi, je m’y sens plus à l’aise que dans ce qui est classique.

Et cette appétence pour l’art contemporain, la peinture, ce désir d’associer les artistes, d’où vous vient-il?

Mais je n’ai rien inventé, rappelez vous les ballets russes. Franchement je ne fais rien de nouveau! C’est vrai que j’adore l’art alors cela se ressent. Pour les pointes, là, c’est plus « novateur »; tout le monde se foutait de moi il y a trois ans quand j’ai dit que les pointes avaient de l’avenir en danse contemporaine. Trois années pendant lesquelles j’ai tout noté, dessiné; au total j’ai rempli cinq carnets pour ne garder que trois pages.

Pourquoi ces pointes, vous vouliez que les hommes à leur tour découvrent ce que c’est que de danser les pieds comprimés?

Pas du tout, il n’y a aucune perversité de ma part. Tout le monde s’en empare mais les gens pensent ce qu’ils veulent! Non ça me paraissait juste, alors que dans tous les précédents, un homme en pointe c’était forcement pour parodier. Je voulais avant tout « asexuer » la pointe, et les rendre gracieux; je trouve que cela rend tellement beaux les hommes! Les proportions sont parfaites avec trente centimètres de plus en hauteur…Et puis j’adore les pointes, je mange avec mes pointes aux pieds, c’est un objet qui ne me quitte pas. Avec Pina Baush, elle passait son temps à me dire de les retirer car même pour ses spectacles pieds nus, je m’entraînais avec mes pointes!

Quelle sensation cela vous apporte-t’il?

C’est un objet tellement élitiste! Qui vous met à part…J’oublie que je les porte. Pour les garçons en revanche, ça  a été une semaine de fous rires car mon assistante Florence Clerc leur avait concocté une vingtaine d’exercices hyper durs,  de grandes phrases classiques que même les étoiles femmes ont du mal à faire! Je m’occupais des filles et elle des garçons car il fallait vraiment aller vite.

Au final cela donne des tableaux absolument magnifiques comme des peintures…

J’ai travaillé autant la lumière que la chorégraphie et on a commencé par cela; on me parle de Miro, de Magritte, de Hopper d’ailleurs. Le lino miroir, c’était au départ pour la lumière, bien avant d’imaginer les glissades- les slides que j’avais expérimentées moi même mais que je trouvais dangereuses car à chaque scotch pour joindre les bandes entre elles, ma cheville s’arrêtait. Mais là je l’ai fait coller par le dessous, pour que personne ne se blesse. Il est hors de prix et personne n’en voulait car il est comme une vraie patinoire…Mais c’est celui là que je voulais! S’élancer dessus, c’est une prise de risque constante, il n’y a pas de « fake » dans ma pièce. C’est cela que j’aime d’ailleurs, que les danseurs soient toujours « là », qu’ils ne puissent pas tricher.

Vous voulez la même chose que vous vous donnez sur scène en fait!

Oui, je n’aime pas que l’on pense à ce que ‘on va manger le soir en étant en train de danser. Et comme le corps sait répéter tout seul, sans forcément que  la tête soit « là », ça arrive souvent!

La retraite est dans cinq ans, vous y pensez de temps en temps?

Oui… Non, en fait, non. Je fais comme tout le monde j’essaye de répondre oui, mais je n’en ai rien à faire! Pour ma part,  comme j’étais très en avance- j’étais vraiment un peu…douée en fait- ma danse était très puissante, avec une technique de folie à quinze ans mais ma tête n’était pas encore assez instruite, mature. Depuis trois ans, ma tête et mon corps sont vraiment au même niveau. Je pense que cela va durer longtemps encore car je suis quand même en pleine forme. A moins que je me blesse, ça devrait continuer un certain moment. Je n’ai pas de « descente » grâce à ce travail que je n’ai jamais cessé. C’est en cela que je trouve que je suis beaucoup plus intéressante maintenant.

Vous diriez que la danse vous a sauvée depuis cette double scoliose?

La danse m’a toujours sauvée, il n’y a pas que cette histoire de scoliose. J’ai été élevé à la campagne mais avec de la culture, je regardais des livres d’anatomie, j’adorais ça quand j’étais petite. Je pense que j’ai depuis un contrôle de chacun de mes muscles, des sensations sur chacun d’eux comme tout danseur se doit d’avoir mais c’est plus facile en visualisant. Et à l’Opéra de Paris, j’ai pu vraiment aller au bout de cela avec dans le classique, après un Lac des cygnes, un Don Quichotte cette fierté quand on sort de scène! Oui, la danse me sauve, aujourd’hui encore.

« Patrimoine culturel vivant »-ainsi sont les danseurs étoiles en France. Marie-Agnés Gillot a attendu d’avoir trente ans pour le devenir. Elle en a gardé une simplicité et une gentillesse étonnantes avec cette idée qu’elle doit être aussi généreuse dans la vie que sur scène. La chose est rare…

 

Par Laetitia Monsacré

 

 

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