29 septembre 2014
Ambronay ou l’émotion baroque à travers les âges

Le Concert Lorrain - ©Benjamin de Diesbach ext 3
Pour son trente-cinquième anniversaire, le festival d’Ambronay, un des premiers, tant par l’ancienneté que par la qualité, célèbre le répertoire baroque sous toutes formes. Et ce week-end de journées du patrimoine, ponctué de visites guidées de l’abbaye, le démontre avec brio, à l’instar du concert du samedi soir, à l’enseigne des Quatre saisons de Vivaldi. C’est en effet un parcours au sein de musique qualifiée de « descriptive » que proposent Imaginarium et Enrico Onofri, premier violon de l’ensemble de Giovanni Antonini , Il Giardino Armonico, de 1987 à 2010 – la formation fut l’une des pionnières dans le décapage version italienne d’un des plus grands tubes de l’histoire. Sur le haut de la poitrine ou accroché à une écharpe que l’on enroule autour du cou, le violon se joue ici à l’authentique, sans mentonnière, accessoire de confort apparu au début du dix-neuvième siècle.

Le violon à l’honneur

Excepté le pieux Fuggi dolente core de Marini qui ouvre le concert, la première partie de la soirée est placée sous le signe de l’imitation animalière, et plus particulièrement aviaire, à l’instar de la transcription pour consort de cordes du Chant des oyseaulx de Janequin, qui sacrifie nettement la vocalité à l’écriture violonistique. Uccellini et son Aria Nona, sorte de concerto marial entre la poule et le coq ne manque pas d’humour, qui jaillit au fil de la Sonata Representativa de Biber et sa cohorte de rossignol, coucou, grenouille et chat – délicieux miaulement du violon – avant une vigoureuse Marche des Mousquetaires. Si programmer Les Quatre Saisons attire à coups sûr le public, le célèbre opus de Vivaldi représente paradoxalement une gageure pour qui ne veut pas se contenter de la répétition paresseuse. Jouant d’emblée sur la corde de la picturalité, Enrico Onofri installe les atmosphères avec des effets de sfumato, et évite ainsi de confondre relief et précipitation dans des accentuations caricaturales qu’affectionnent tant certains latins, sans pour autant renoncer au coup d’archet s’il faut rehausser un motif. Ces pages plus que connues s’expriment ainsi avec un naturel et une fraîcheur inattendues, preuve qu’elles ont encore quelque chose à nous dire. Les deux bis, réclamés par un auditoire enthousiaste – le finale du n°8 de l’opus 8, le même recueil que Les Quatre Saisons et le mouvement lent de l’opus 4 n°4 – confirment cette intelligente inventivité.

Un Cactus poétique et émouvant

Le baroque – et l’art musical en général – n’étant pas réservés à une élite de connaisseurs, le chapiteau accueille des spectacles familiaux, à l’instar de Cactus, conte en musique qui mêle le texte de Laurent Carudel au commentaire musical réglé par le contre-ténor Bruno Le Lévreur, accompagné par la soprano Sophie Pattey, Françoise Defours et Marie-Noëlle Visse aux flûtes à bec, Julie Dessaint à la viole de gambe et Thibaut Roussel au théorbe. Léo a huit ans et attend ses parents dans le bureau du directeur de l’école : c’est le point de départ à une rêverie où se condensent les angoisses du petit garçon, témoin de la fragilité de sa mère, qu’il cherche à retrouver, poursuivant un oiseau aux ailes rouge feu comme son foulard ou escaladant un cactus. Ponctué par des pages de Purcell, Haendel ou Marin Marais, reconnaissables par les amateurs, le spectacle ne se contente pas d’une initiation à la musique : chacun des morceaux choisis nourrit l’émotion d’un récit délicat, qui passe avec une belle fluidité du songe à la réalité, enrichissant celle-ci par celui-là. Jouant subtilement de l’ambiguïté poétique propre à l’univers du conte –  jusqu’à l’indétermination générique de l’Emmanuel(le) dont le héros baise les lèvres sur la photo de classe –, Cactus aborde avec une profonde sincérité des thèmes difficiles, voire tabou pour un jeune public, comme la mort et le deuil, et vivifie l’imagination du spectateur, qui s’approprie l’histoire par sa lecture personnelle qu’il en fait. Intime et universel à la fois, Cactus constitue un voyage aux vertus authentiquement pédagogiques, celles de l’imaginaire.

La célébration Haendel

Le week-end s’achève avec Haendel et Israël en Egypte. A la tête du Concert Lorrain et du Nederlands Kamerkoor, Roy Goodman magnifie l’ampleur et la majesté des chœurs, nombreux, qui se succèdent parfois longuement au fil de la partition, au risque d’en alourdir la pompe, impression renforcée par une première partie solennelle habituellement fortement résumée. Les tempi n’en restent pas moins généralement alertes, en particulier dans les airs, et mettent en avant deux basses qui se complètent harmonieusement – Peter Harvey et Roderick Williams – tandis que les deux sopranos – Julia Doyle et Maria Valdmaa ne déparent pas, et le ténor James Gilchrist non plus. L’alto David Alisopp appelle plus de réserves. Avec plus de deux heures trente de musique, l’ouvrage excède d’au moins une demi-heure la chronologie attendue. La célébration ne connaît pas les aléas temporels, et celles du festival d’Ambronay passe aisément les époques : cette édition 2014, la première sous la direction de Daniel Bizeray, réserve encore deux week-ends pour le vérifier, avec, de William Christie à Leonardo Garcia Alarcon et Les Surprises de Juliette Guignard et Louis-Noël Bestion de Camboulas, des gloires d’aujourd’hui comme des grands noms de demain.

GL

Festival d’Ambronay, du 12 septembre au 5 octobre 2014

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