28 août 2019
Alain Grosajt, les fils de la mémoire

En 2019, le Musée Estrine, à Saint-Rémy-de-Provence, proposait une rétrospective consacrée à Alain Grosajt. Une monographie, Alain Grosajt, écrire la peinture, est parue à ce moment-là, aux éditions Silvana Editoriale. Né en 1943, Alain Grosajt a élaboré, dès ses débuts à l’orée des années 70, une œuvre-palimpseste marquée par les traces et la mémoire – et son corollaire, les strates qui les recouvrent au fil du temps. Dans l’entretien mené par Elisa Farran, la commissaire de l’exposition, le peintre rappelle l’anecdote de son expérience artistique fondatrice, l’effacement des signes de craie sur le tableau noir de l’école. D’ailleurs, le titre de la première série de peintures, Effacements, souligne cette matrice.

Nourrie entre autres par ses voyages, l’oeuvre d’Alain Grosajt se décline en séries, au fil desquelles l’artiste explore jusqu’à épuisement son sujet. Point d’exotisme, mais plutôt la quête d’une présence singulière par des variations à partir de teintes ou d’éléments symboliques d’une culture : les feuilles d’arbres aux Antilles, le brun café du Brésil, la chamarre des saris indiens, ou encore la décantation expressive du Japon, entre fleurs et haiku. Mais le dépaysement n’est pas seulement géographique, il peut aussi être temporel, à l’exemple des Marelles, évoquant ce jeu des cours de récréation, qui laissent affleurer les transparences du souvenirs, dans un geste pictural intimement lié à celui de la graphie, tandis que le travail sur les cendres de la série Pompéi explore la matérialité archéologique des rapports de la mémoire avec la mort et la renaissance.

Une réécriture du visible

L’introduction à l’imaginaire d’Alain Grosajt que propose Bertrand Bolognesi – qui vient de recevoir cette année le Prix du meilleur livre sur la musique pour Résurgences du secret ou l’oeuvre pour piano de Jacques Lenot, édité chez Aedam Musicae – ne se contente pas de partir de la révélation esthétique devant le tableau d’école pour décrire la manière personnelle du peintre. Conçu comme une déambulation dans l’atelier de l’artiste en Provence, le texte plonge au cœur du processus créateur, dont témoigne le réaménagement de cette ancienne maison de pêcheur comme une parenthèse monacale : après s’être imprégné de son sujet et des multiples sources de réflexion et d’inspiration, Alain Grosajt s’isole dans une activité productrice qui, à l’aune de son histoire familiale, marquée par la déportation, prend l’allure d’une réinvention cathartique du passé et de sa rémanence dans le présent. Superposant les matières et les techniques, ses toiles invitent le regard à la réécriture du visible.

Après que les cigales du Festival de piano se sont tues à La Roque-d’Anthéron, l’association Patrimoine et culture présente à l’Abbaye de Silvacane jusqu’au 30 septembre une immersion dans la peinture d’Alain Grosajt, Aux fils du temps, coordonnée par Jean-Marc Bourry, sur proposition de Michèle Guérin. Avec les photos de Fabrice Lorier, l’ouvrage paru lors de la rétrospective de 2019 constitue une belle familiarisation pour rencontrer l’univers d’Alain Grosajt, tout comme un prolongement non moins idéal de l’exposition.

Par Gilles Charlassier

Alain Grosajt, écrire la peinture, Editions Silvana Editoriale 2019. Exposition Alain Grosajt, aux fils du temps, jusqu’au 30 septembre 2022 à l’Abbaye de Silvacane.

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