26 mai 2012

J’étais tranquillement installée devant mon poste de télévision, lorsque je vis apparaître à l’écran Alfred Hitchcock. Il vantait les mérites d’une automobile assez quelconque, genre Clio à peine améliorée. Mon sang ne fit qu’un tour. C’en était trop. Il y avait eu récemment Grace (Kelly) et Marylin (Monroe) dans un clip, au demeurant fort réussi, où elles rencontraient Charlize (Théron). Je me souvenais aussi d’Audrey (Hepburn) et de Cary (Grant) chaussés de souliers – reconnaissables à leurs picots antidérapants inspirés des driving shoe des pilotes de voitures de sport, qui n’existaient même pas lorsqu’ils étaient encore en vie. Le sublime héros de Bullitt n’avait-il pas mené récemment campagne pour une montre ? Et Marie-Antoinette elle-même n’avait-elle pas fait – de manière certes subliminale, la promotion de macarons parisiens dans un film de Sofia Coppola ? A y bien réfléchir, les exemples étaient légion. N’avais-je pas moi-même failli acquérir des sets de table signés Picasso au musée d’Antibes ?

Que George (Clooney) se fasse rembarrer dans une pub par une psychorigide qui lui reprochait insidieusement son côté pas assez «ristreto », why not. Notre VIP VRP pouvait se défendre. Mais que des morts célèbres sautent directement de la case « icônes » devant l’éternité à la case « people sandwich» sans pouvoir réagir me révoltait. Je décidai d’agir et appelai un grand avocat parisien dont j’avais ouï dire qu’il adorait le cinéma. Ce qui, pour un ténor du barreau ultra médiatisé, est presque un euphémisme.

Son cabinet ressemblait à une loge de théâtre, avec portraits en noir et blanc accrochés au mur qui composait une sorte de name dropping visuel (« name dropping » : liste de gens importants que l’on connaît et dont on cherche à démontrer que c’est réciproque). Il m’avait reçue rapidement car j’avais précisé que j’étais journaliste et que je faisais une enquête pour un magazine réputé. Sa secrétaire était même venue me proposer une tasse de thé ou un soda, ce que j’avais décliné, me contentant d’un verre d’eau. Mon avocat avait fière allure : il ressemblait à Dominique de Villepin, en plus jeune. Il fut d’abord tout miel mais au fur et à mesure que je lui exposai la raison véritable de ma visite, son regard se fit plus sévère. Comment osais-je le déranger sous un prétexte fallacieux pour lui demander de prendre la défense de… morts même pas solvables ? En effet, il fallait supposer que dans cette affaire de publicité, des ayants droits avaient autorisé l’utilisation de l’image de leurs « chers » défunts… « Chers et même hors de prix, à vrai dire, Madame ! » : mon avocat avait de l’humour. Combien rapportait l’apparition de telle ou telle célébrité à l’écran ou sur papier glacé ? M’étais-je renseignée ? Non ?  Et je prétendais être journaliste ? Tout en parlant, il jouait avec ses mains. Un ballet fascinant. J’essayai d’intervenir pour arrêter une logorrhée de plus en plus agressive à mon endroit. En vain. Il était devenu assez rouge et paraissait très en colère. Je me levai et dans un balbutiement, le remerciai. Je sortis sans être raccompagnée. Je n’étais plus persona grata.

La nuit suivante, je fis un drôle de rêve : je rencontrai John Lennon, qui, on le sait, avait été mis à toutes les sauces du marketing depuis sa mort. Nous étions assis dans un café à haut potentiel « people » de Saint-Germain-des-Prés. Les gens passaient devant nous sans même lui jeter un coup d’œil et j’étais assez surprise. Comment ? J’étais en compagnie du Beatles le plus célèbre du monde avec Paul (McCartney) et ce n’était pas l’émeute ?  Soudain l’ambiance, déjà survoltée en temps normal, passa à 9 sur 10 sur l’échelle de Richter de la nuisance sonore. Un crieur de journaux, habitué des lieux, se mit à circuler de table en table en lançant : « Lady Gaga en visite au Flore ! ».  Couverte de tranches de saumon rehaussés de citron vert, la pop star entra effectivement, entourée d’une horde de fans prêts à lui arracher ses vêtements. Arrivée à notre hauteur, elle pila net devant John.

« Do I know you ? » – « Est-ce que l’on se connaît ? » demanda-t-elle à John. Celui-ci, qui avait le nez plongé dans un Perrier rondelles, releva ses yeux chaussés d’une paire de lunettes à monture de métal et se mit à regarder, sidéré, le spectacle qui s’offrait à lui.
« No », répondit-il assez sèchement.

« Je cherche quelqu’un dans votre genre pour mon prochain clip » poursuivit Lady Gaga. « Ce serait juste pour de la figuration ».

« Je sais aussi chanter, imaginez-vous », répondit John en pouffant.

Là, mon rêve devient flou. En fait, je crois que je me retrouve en Inde avec John et Lady Gaga revêtue d’un sari rose. Et que Yoko Ono traîne dans un coin, l’air mauvais.

Le lendemain, j’entrai en contact avec un centre de spiritisme, très versé dans les relations publiques avec l’au-delà. Je voulais « savoir ». A savoir, si la publicité faite en leur nom affectait les « people » après leur mort. Lorsque je posai ma question à la medium qui avait accepté de me rencontrer, elle me contempla d’un œil soupçonneux, tout en exigeant une somme rondelette pour la « consultation ». Après quelques essais infructueux, ma spécialiste réussit à établir la communication avec quelqu’un qui se présenta sous le surnom de « L’Ange Bleu ». J’avais ma petite idée sur l’identité de notre correspondante mais ne pipai mot. Elle avait, dit-elle, décidé d’entrer en résistance avec quelques uns de ses collègues de Hollywood afin de ne plus subir les exercices d’anamorphose digitale pratiqués régulièrement par des publicitaires sans scrupules. « L’Ange Bleu » les comparait à une sorte de docteurs Frankenstein. Elle comptait même créer un syndicat – et l’on sait à quel point les syndicats sont puissants aux Etats-Unis, pour réclamer des dommages et intérêts à leurs indélicats descendants qui autorisaient de telles pratiques.

Je jubilai. Je tenais enfin le début d’une solution à ce détournement de célébrité post-mortem. Pourtant, lorsque j’expliquai, lors de la conférence de rédaction journalière, que je possédais une interview exclusive de « L’Ange Bleu », un silence glacial accueillit ma proposition. Mon boss me fit signe de le rejoindre dans son bureau à la fin de la réunion. Il m’y accueillit d’un – « Alors, on se paye ma tête devant ses petits camarades ? » – qui laissait augurer de la suite. Cela ne fit pas un pli. Il avait décidé de me virer, sans indemnité, pour faute grave. « Vous ne trouvez pas qu’on assez de mal comme çà à faire venir des annonceurs ? Adieu, ma jolie !» me lança-t-il, furieux. Je respirai enfin : ce n’était parce qu’il ne m’avait pas crue que j’étais remerciée. Mais parce que j’étais potentiellement dangereuse pour le bon équilibre financier de la presse qui connaissait – c’était de notoriété publique, une mauvaise passe. Lorsque je ramassai les quelques affaires qui traînaient dans mon bureau – on m’avait demandé de quitter les lieux sans délai – je remarquai un post it collé sur mon téléphone. Je devais rappeler un certain Raymond Chandler qui désirait me parler d’une histoire de la plus haute importance. Les affaires reprenaient.

Par Marie-Clémence Barbé-Conti

Articles similaires