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Cette fin d’année 2018, La Grande bouffe, le film orgiaque de Marco Ferreri ayant fait scandale au Festival de Cannes en 1973 montrant des convives se gavant jusqu’à la garde, s’est fait voler la vedette lors des deux réveillons par une mauvaise série B sur fond de psychose et de propagande digne d’un régime que ceux qui se font gazer et flashballer sur les Champs Elysées depuis un mois pourraient qualifier de « fascisant ». En ce début 2019, la France est coupée en deux: les grandes villes souhaitant que « ces gens là » s’arrêtent et des départements comme l’Eure, où le gilet jaune s’affiche sur les tableaux de bord des voitures, outil indispensable à ces Français qui n’ont pas les moyens d’habiter les centres villes et se lèvent aux aurores pour enfiler les kilomètres entre déposer la petite à l’école, le grand au lycée et aller offrir son cerveau ou ses bras pour un SMIC. Cette France qui travaille et n’y arrive plus, cette France qui a enfin découvert loin de la honte qui l’étouffait de ne pas y arriver qu’elle n’était pas isolée, et qu’à plusieurs, on est plus fort que tout seul. « Une foule haineuse » outrageusement stigmatisée par des voeux martiaux le 31 décembre 2018 d’ un jeune Président arrogant et pyromane ayant commis lors des dernières présidentielles le hold up du siècle: se faire passer pour l’un des leurs alors que jamais un élu n’avait autant fait partie du système qu’il prétendait réformer. « Le mouvement s’essouffle » a t’on pu entendre dans les médias depuis l’Acte VI samedi 22 décembre 2018, avec de belles images pour les télévisions de quelques gilets jaunes sur les Champs Elysées, les rares ayant réussi à passer à travers les filets conformément à la technique de nassage qui s’applique depuis trois semaines –lire notre reportage. Les rares à prendre encore le risque de finir, en toute impunité, frappés par les CRS( le journaliste David Dufresne @davduf en est à plus de 200 signalements d’actes de violences de la police sur des manifestants auprès de la Place Beauvau depuis le 6 décembre) lorsque ce n’est pas les journalistes qui sont mis en joue par des CRS ou molestés comme ancien de Sud radio, la joue en sang après un tir de flashball au Musée d’Orsay-on y était.

Journaliste, profession sinistrée

Etre journaliste depuis plus d’un mois en France lorsque l’on couvre les « Gilets jaunes », c’ est en effet- n’en déplaise à Emmanuel Macron qui a essayé de nous associer dans ses voeux aux homosexuels, juifs et autres victimes de ces « gaulois » forcément incultes- devoir porter un casque et afficher « Presse » comme pour couvrir une guerre lointaine avec l’espoir que cela nous protège. De qui? Certainement pas des gilets jaunes qui, lorsque j’ai dû courir avec eux pour échapper aux grenades lacrymogènes lancées sans aucune raison, m’ont tendu mon portable tombé dans la tourmente. Ma carte de presse perdue en même temps a fini dans la poche d’un Baqueux, un policier, qui m’a lancé « J’en fait collection ». Ces mêmes « représentants de l’ordre »-sic, qu’Emmanuel Macron ne cesse de féliciter comme ce jour de Noël où il est allé visiter les motards de la police ayant été « violemment agressés ». Stéphanie Roy, @Steph_Roy_, une ancienne journaliste de l’agence mondiale de presse, Associated Press-une référence- travaillant désormais pour l’agence de presse indépendante LinePress, a filmé la scène. Toute la scène. Trois motards arrivant comme des cow-boys sur l’avenue Georges V alors que des gilets jaunes descendent joyeusement les Champs Elysées, bonnets de Noël et Marseillaise reprise en coeur. Les touristes sourient, quelques restaurateurs s’inquiètent pour leur terrasse, mais l’ambiance est comme le disent les journalistes « bon enfant ». Mais voilà que les trois policiers lancent des grenades comme on lance des confettis,  l’un d’eux tellement à son excitation qu’il en fait tomber sa moto. Alors évidemment ça tourne mal. Tu donnes de la merde, tu reçois de la merde. Une, deux trottinettes, des sapins, la riposte fuse. Légitime? Dans tous les cas, compréhensible et c’est là, que le dimanche 23 décembre fut un jour de deuil pour le journalisme. Images tronquées diffusées en boucle sur les chaînes du service publiques et d’information continue, infox  répugnante amalgamant les gilets jaunes à des racistes pour trois quenelles, à des antisémites pour une vidéo qui tourne sur les médias classiques alors qu’elle n’aurait jamais du quitter les réseaux sociaux ou encore à des homophobes en opposant le Mariage pour tous au RIC,  bref une volonté éditoriale écoeurante de faire passer un message de propagande digne d’une dictature: « Les Gilets jaunes sont l’ennemi du peuple ». On minore, on diabolise- selon.

Des confrères qui hurlent avec les loups

Alors, moi aussi j’ai eu honte. Honte d’avoir choisi un métier de crève la faim avec de plus en plus de journalistes qui y renoncent pour tenter ailleurs de gagner leur vie comme l’a révélé une étude dévoilée cette année aux Assises du Journalisme de Tours; honte que mes enfants nous trouvent pauvres dans un arrondissement de dents blanches mais surtout honte d’entendre certains de mes confrères, bien au chaud sur leur plateau ou dans leur studio radio donner dans « la voix de son maître » comme aux pires heures de l’ORTF. Que dis-je, la chose est plus perverse encore; la censure gaullienne a fait place à la fabrique d’opinion macronienne. Sur France Inter, à la matinale pilotée par Nicolas Demorand, hurleur avec les loups, on offre une demi-heure de pub gouvernementale au Secrétaire d’Etat au numérique pour qu’il rappelle aux bonnes gens que les Fake news, c’est sur internet et que c’est dangereux. Le même dont je ne salirais pas ce site en écrivant le nom qui a osé tweeter dimanche soir avec une photo de l’agresseur des policiers: « une ombre brune dans la nuit; cet homme sans visage insulte les milliers de mères célibataires qui occupent les ronds point »- un twitt qui a d’ailleurs, après notre signalement auprès de Twitter pour « incitation à la haine contre un individu isolé » été supprimé, tandis qu’Edouard Philippe (lequel m’a fait perdre mon pari avec mes enfants- j’avais prédit qu’il ne finirait pas l’année) twittait, droit dans ses bottes le 23 décembre au soir: « Des agressions d’une violence inouïe contre des policiers… Des gestes antisémites en plein Paris… Il est hors de question de banaliser de tels gestes qui doivent faire l’objet d’une condamnation unanime et de sanctions pénales. » Pardon, « une violence inouïe »? Comment le Premier Ministre qualifierait-il alors ces vidéos qui circulent sur Twitter où des journalistes comme Remy Buisine du site Brut ou Arnaud Viviant pour ses commentaires rachètent notre honneur- au passage tous deux insultés par les comptes anonymes RN reconnaissables à leur drapeau bleu blanc rouge…

Acte VIII, en direct de Saint Germain des près

Ce samedi 6 janvier 2019, j’étais une fois encore en reportage. En bas de la rue Bonaparte, les GJ sont passés pacifiquement à 14heures 30; la manifestation était déclarée. Devant le Musée d’Orsay, ils ont été bloqués; plus possible d’aller tout droit, ni à gauche ni à droite. Alors évidemment, une foule à l’arrêt, ça essaye de passer; les gaz ont commencé. Les touristes ont du être enfermés dans le musée, les habitants du très chic 7ème arrondissement obligés de détaler comme des lapins avec les yeux rouges et la gorge qui brûle, pris au piège des nuages de gaz lacrymogènes chargés d’ammoniaque; Jim a eu droit à des gouttes pour les yeux, et de pouvoir sortir en passant un cordon de CRS qui bloquait toutes les sorties avec les gilets jaunes qui acceptaient de retirer les gilets. Plus loin, rue du Bac, on entendait Hexagone de Renaud. Une jeune journaliste de CNews filmait un petit feu de poubelle; je l’ai prise à parti en plein direct pour lui dire tout mon mépris d’être associée à l’infox des chaines d’infos continues qui rendent notre profession de journaliste chaque jour un peu plus suspecte et décriée. Boulevard Saint Germain, des poubelles ont commencés à brûler, sans aucune casse. Des gilets jaunes très chics descendaient le boulevard, une autre racontait que, sortant de l’ENA, elle gagnait 5000 euros par mois mais qu’il ne lui restait que 600 euros après toutes ses charges. Tous étaient là depuis le début- huit samedis de suite sauf pendant les fêtes, habitués à se faire gazer, certains ayant perdu des cheveux comme la fille de Céline,  costumière de théâtre « ayant la chance d’avoir une petite rente grâce à une série TV de France2 depuis deux ans ». Mais le sourire aux lèvres lorsqu’ils évoquent la solidarité et les amitiés qui sont nées sur le macadam parisien. Car on parle beaucoup dans les manifs à chaque fois que l’on se retrouve statique, Macron devrait méditer cela; un marcheur est moins solidaire que quelqu’un qui attend, debout dans le froid avec rien à faire que d’espérer ne pas se prendre une grenade ou un flashball dans l’oeil.

 

Signé « sale pute » cf un charmant Baqueux

17 heures. Devant le Café de Flore, le boulevard Saint Germain offrait une vision dantesque avec une immense fumée noire venant des poubelles incendiées par trois blackbox qui avaient déterré un poteau. Aucun policier en civil n’était présent alors que des Gilets jaunes et moi même tentions de les faire partir. Alors les médias ont eu de belles images pour faire peur aux Français, avec un acte VIII qui ressemble à tous les autres. Et cette question: Macron a t’il séché les cours de français pour ne pas savoir qu’une bonne pièce de théâtre, c’est en cinq actes? Entendra-t’on la maire du 7 eme arrondissement,  Rachida Dati qui ne perd jamais une occasion de se montrer,  fustiger à son tour une « foule haineuse » ou les « agitateurs radicalisés » cf le porte parole du gouvernement, le très jeune et inexpérimenté Benjamin Griveaux? Sans une vitrine cassée, les Gilets jaunes ont descendus dans un calme absolu la rue Bonaparte en chantant Aux Champs Elysées de Dassin avant d’être arrêté par des Baqueux armés de flashballs à l’angle de la rue Jacob. En les apostrophant poliment pour qu’ils ne visent pas les têtes, l’un d’eux m’a dit « Ta Gueule sale pute » devant ma fille de 13 ans venue m’accompagner et des témoins ébahis. Voilà, Mr Macron, Mr Castaner et le minable petit présentateur de CNews du samedi après midi ; c’était ça le 6 ème arrondissement aujourd’hui. Si vous quittiez vos bureaux et vos plateaux TV vous sauriez ce qu’est une France en colère qui ne croit plus dans ses hommes politiques, mais pas plus dans ses journalistes et pour cause. Quant à dans sa police, c’est comme pour mes confrères: il y en a vraiment qui mériteraient de connaître le même sort que ceux qu’ils insultent, qu’ils gazent et qu’ils bastonnent. CQFD.

Par Laetitia Monsacré

Voir la vidéo montrant le gazage des Gilets jaunes pacifistes sur la Passerelle face au Musée d’Orsay

Voilà un des dangereux agitateurs cherchant l’insurrection comme le stigmatise outrageusement Benjamin Grivaux s’etonnant ensuite qu’on vienne le chercher dans son Ministère de la Propagande

 

Un congénère de Jim, réfugié devant le Musée d’Orsay, avec ce Monsieur qui distribuait des pipettes de sérum physiologique

 

BorisKharlamoff, journaliste, après un flashball en pleine joue

 

Pour sortir, on retire son gilet jaune ou on ne ne passe pas avec des CRS à la barre orange sur leur casque, « les plus sympas » selon des gilets jaunes connaisseurs…

Rue du Bac, on ne passe pas,

même ces touristes japonais qui avaient prévu leur laissez passer!

Attention, l’insurrection est proche!

Jim avec un dangereux agitateur!

Au très chic Café de Flore, un serveur immortalise la marée jaune

Rue Jacob, les macarons de Ladurée étaient bien gardés…